• Spinoza PLUS les topos

    Envisageons un instant sans nous bluffer avec des grands mots la notion d'objet absolument transcendant (c'est à dire la notion commune de Dieu chez les métaphysiciens classiques).

    Qu'est ce que cela peut bien vouloir dire : "transcendant" ? rien d'autre que ceci : qu'il ne peut y avoir aucun rapport, aucune relation, entre moi (ou n'importe qui), c'est à dire entre ma raison, ou celle de n'importe qui, et cet objet. Ou, en d'autres termes, que cet objet absolument transcendant, "DIEU", est radicalement inintelligible (ou surintelligible) par la Raison humaine. C'est d'ailleurs bien la doctrine énoncée par tous les philosophes , docteurs, ou mystiques, du christianisme, de Saint Jean Chrysostome à Saint Thomas d'Aquin.

    Mais alors une question , qui prend la forme d'une aporie, est inévitable : si cet objet est inintelligible, comment pouvez vous en dire quelque chose ? à commencer par ceci : dire qu'il est inintelligible, justement.

    Dire comme Wittgenstein dans l'aphorisme final du Tractatus logicophilosophicus que "ce dont on ne peut parler, il faut le taire", c'est encore trop dire, puisque c'est dire quelque chose "à propos" de ce dont on ne peut parler justement. Quant à l'élément mystique de Wittgenstein, qui ne peut être dit mais "se montre", je ne peux absolument pas accepter ce recul, cette régression, cette rechute dans l'ineffable qui laisse la place à tous les excès , à toutes les pathologies de l'esprit, à commencer par la tentation du repli solipciste. Car si "cela" se montre à vous, mais pas à moi, alors de deux choses l'une : soit nous dialoguons pour essayer de dépasser ce gouffre qui s'est creusé entre nous, dans notre "communauté pratiquant le jeu de notre langage", ou bien nous rentrons chacun dans notre coquille. Dans les deux cas l'élément mystique est sacrifié : au dialogue rationnel dans le premier cas, à la pusillanimité du "chacun pour soi et Dieu pour tous" dans le second.

    Je note d'ailleurs que d'après ses "Carnets secrets", écrits dans les tranchées de la première guerre mondiale, Wittgenstein n'a pu supporter son isolement au milieu d'hommes de troupes vulgaires qu'en s'en remettant à chaque instant à Dieu, au Dieu non plus des philosophes, mais au Dieu que l'on prie! c'est compréhensible ? bien entendu, tout comme la solution consistant à s'enivrer. mais là n'est pas le problème!

    Dira t'on qu'il y a en Dieu des "aspects" que l'on peut comprendre et concevoir, et d'autres qui sont inintelligibles, inconcevables, ineffables ? fort bien, mais alors ce Dieu n'a plus d'unicité, il est multiple, puisqu'on peut y distinguer une partie intelligible, et une autre qui ne l'est pas. Et puis comment fera t'on le départ entre ce qui est intelligible et ce qui ne l'est pas ? "you never know what is enough unless you know what is more than enough".

    Bref, on aura compris où je veux en venir, venir qui n'est rien d'autre qu'un revenir à ce que j'avançais dans les posts précédents: si la notion de transcendance mène à une aporie, alors il ne reste comme solution, pour nous qui ne voulons pas nous taire, qui voulons nous passer (par fierté et par raison) des facilités de la Révélation, du groupe qui communie ou du silence mystique, qu'à envisgaer Dieu, l'Absolu, comme entièrement intelligible, mais de manière toutefois "asymptotique" : de l'Absolu, il faut dire qu'il est Résultat, il n'est qu'à la fin ce qu'il est. La Pensée entièrement adéquate se confond avec son objet, c'est à dire : la Raison entièrement développée se confond avec son Système ("le monde est fait pour aboutir à un Livre"). C'est, si l'on veut, notre interprétation de la Trinité : la raison (humaine) en devenir, émergeant de l'inconcevable abîme du "Père", s'achemine vers l'Esprit, c'est à dire vers elle même en tant qu'Absolu, "à la fin". 

    On doit bien convenir que Spinoza , le philosophe qui a le plus fait pour établir et fonder le projet d'intelligibilité totale du monde qui se confond avec l'Occident, n'échappe pas totalement au reproche fait plus haut : en effet, dans l'infinité d'Attributs infinis qui forment la Substance (= Dieu) il n'y en a que deux, l'Etendue et la Pensée, qui soient concevables par l'être humain. Mais alors comment sait il quelque chose à propos des autres, puisqu'ils sont inconcevables? parce qu'il faut qu'ils soient en nombre infini pour garantir la perfection infinie de la Substance ? mais l'on sait depuis Cantor qu'infinité, cela peut vouloir dire bien des choses différentes : puisqu'il y a justement une infinité d'infinis différents, les Alephs de Cantor.

    Nous proposons tout simplement de remplacer les Attributs de Spinoza par les topos. En effet, si Dieu est pour nous la Raison, c'est à dire la Pensée soumise à la vérification et à la falsification, alors son cadre d'exercice doit être une catégorie munie d'un objet spécial donnant les valeurs de vérités, ce que l'on appelle en termes techniques un "classifieur de sous-objets". C'est ce que Badiou nomme un "transcendantal" d'un monde. Dans ce cas un "monde" doit être un topos, si Badiou veut être fidèle à son langage de base. Nous proposons , à titre d'hypothèses de départ, de prendre comme catégories-monde les topos.

    Nous nous séparons donc ici de Badiou en ce que nous n'accordons aucune position privilégiée au topos des ensembles, c'est à dire de ce qu'il appelle "multiplicités pures" et qu'il assigne à l'ontologie mathématicienne (de la théorie des ensembles donc) alors que la théorie des catégories correspondrait à la logique, au discours sur ce qui apparait et non sur ce qui est. Car puisque nous partons directement de l'Absolu comme Raison (mathématicienne), peu nous chaut l'Etre en tant qu'Etre et l'ontologie.

    Notre définition projet de départ, à valider par la suite, est donc de remplacer la Substance de Spinoza par la 2-catégorie TOPOS des topos: c'est une 2-catégorie dont les objets (ou "0-cellules") sont les topos, dont les 1-morphismes sont ce que l'on appelle les morphismes géométriques. Rappelons que si E et F sont deux topos, un "morphisme géométrique" f entre E et F :

                                        f :  E   ---------------------> F

     consiste en une paire de foncteurs :

                                        f* :   F  -------------------> E (appelé "image directe de f")

     et

                                         f* : E  -------------------->  F (appelé "image inverse de f")

      donnée avec une adjonction  :  f* Adj  f*  (le foncteur image directe de f possède comme adjoint à gauche le foncteur image inverse de f)

      et telle que f* soit cartésien (cad préserve les limites finies).

    Soit une paire de morphismes géométriques :  f,g :  E ------------------> F

    alors on définit une transformation géométrique :  @ : f ------------ g comme une transformation naturelle (ou morphisme de foncteurs) entre les foncteurs images inverses :

                                                                    @ : f*  --------------> g*

     Ces transformations géométriques joueront le rôle de 2-morphismes dans la 2-catégorie TOPOS

    C'est là notre définition dogmatique de l'Absolu : il convient maintenant de suivre les développements (dans les travaux des mathématiciens) des études sur cette      2-catégorie afin de parvenir à l'Absolu comme Résultat. A la fin ! c'est à dire dans très longtemps. Hitler s'était donné mille ans, il ne nous en faudra pas moins d'un million !


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