• Le rire de la servante de Thrace

    "Thalès étant tombé dans un puits tandis que, occupé d'astronomie, il regardait en l'air, une petite servante de Thrace, toute mignonne et pleine de bonne humeur, se mit, dit-on, à le railler de mettre tant d'ardeur à savoir ce qui est au ciel, alors qu'il ne s'apercevait pas de ce qu'il avait devant lui et à ses pieds. Or, à l'égard de ceux qui passent leur vie à philosopher, le même trait de raillerie est assez bien à sa place" (Platon, Théétète 174a)

    "peut être la servante de Thrace avait-elle confondu la théorie des étoiles avec le culte de celles-ci, et avait à ce niveau tenu ses propres dieux pour les plus forts" (Hans Blumenberg)

    "la sagesse du philosophe qui s'est retiré du monde pour vivre dans l'imitation de Dieu a, comme contre-partie inévitable, la maladresse et la gaucherie qui le mettent hors d'état de s'appliquer aux affaires de la vie pratique, qui font de lui, comme jadis de Thalès, la risée d'une servante thrace (Théétète, 174a). Est il légitime de se résigner à cette séparation de la vertu philosophique et de la réalité sociale, qui s'est traduite, dans l'histoire d'Athènes, par des évènements tels que la condamnation de Socrate ? n'est ce point manquer à l'intérêt de l'humanité que de l'abandonner aux opinions absurdes et aux passions désordonnées de la multitude ? et la misanthropie n'est elle point, en définitive, un péché contre l'esprit au même titre que la misologie ? (Phédon, 89b)"  (Léon Brunschvicg)

    Quelques mots à propos de l'anecdote immémoriale de Thalès et de la servante thrace, qui forme le thème du titre de ce blog (qui s'appelait auparavant, pompeusement : "Dieu des philosophes et des savants")....ce blog qui prend la suite des blogs "Mathesis universalis", "Principia toposophica", etc...qui ont tous lamentablement échoué..

    Le grand philosophe-mathématicien-physicien-astronome  Thalès de Milet , l'un des premiers grands philosophes présocratiques, à l'origine du théorème de Thalès , le premier à avoir prédit une éclipse de soleil, ou à avoir expliqué la couleur de la Lune par le reflet de la lumière solaire, celui qui a élaboré la théorie selon laquelle le monde dérive d'un élément unique, l'eau ("tout est eau"), se promenait un jour, le regard fixé comme à l'habitude sur le ciel et les étoiles (Kant distinguait deux merveilles : le ciel étoilé au dessus de nos têtes et la loi morale dans l'intimité de notre coeur).

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Thal%C3%A8s_de_Milet

    Comme il gardait les yeux fixés vers le ciel, il ne pouvait voir en même temps le chemin où se dirigeaient ses pas....et ce qui devait arriver arriva : il tomba dans un puits profond (est ce là le puits de la vérité ? je ne sais..).

    Survint alors une servante thrace (pour le secourir ? je veux le croire) qui éclata de rire en disant quelque chose comme : "Ah ces sages ! tous les mêmes ! il veut sonder les mystères de l'Univers et il n'est même pas capable de faire trois pas sans se casser la figure ! eh pépé, tu ferais mieux de regarder devant toi et de te soucier des autres , au lieu de te perdre dans tes théories fumeuses !"

    Telle est l'une des formes de l'anecdote, qui en a revêtu au cours des siècles de nombreuses différentes.

    Le philosophe Hans Blumenberg a écrit un livre philosophique et passionnant à propos de cette anecdote : "Le rire de la servante de Thrace" (Ed de l'Arche).

    Voici quelques liens à propos de (ou mentionnant) ce livre :

    http://www.alapage.com/-/Fiche/Livres/2851814559/le-rire-de-la-servante-de-thrace-hans-blumenberg.htm?id=169811231336179&donnee_appel=GOOGL

    http://www.cairn.info/revue-multitudes-2007-3-page-177.htm 

    (article in extenso de Charles Wolfe : "Le rire matérialiste")

    http://www.vox-poetica.org/sflgc/biblio/gely.html

    http://www.univ-paris-diderot.fr/DocumentsFCK/clam/File/Verite_fond_puits.pdf 

    (page 12 sur l'anecdote)

    http://editionsdelabibliotheque.bpi.fr/resources/titles/84240100829810/extras/philobis.pdf 

    (page 21, où J P Faye parle de l'anecdote comme de la première histoire philosophique, signalant le début de la pensée coïncidant avec une erreur)

    et l'on en trouve de nombreuses autres avec Google. Je ne vais pas commenter ces liens, ce n'est pas mon propos, je veux juste m'expliquer sommairement sur mes pensée à propos de cette fable qui m'obsède depuis toujours...

    Thalès personnifie la philosophie comme recherche de la vérité (du Dieu des philosophes) par le biais de la science et donc de la rupture avec le sens commun dans la connaissance du second genre  (la science est née en Grèce). La servante personnifie le sens commun, l'opinion, la connaissance du premier genre de Spinoza.

    Je ne vais donc évidemment pas me joindre au rire de la servante, bien que j'apprécie le plaisir de rire . Mais qu'il me soit permis de dire que je n'ai aucun mépris pour la servante, bien au contraire...

    le second lien que j'ai cité plus haut ("Le rire matérialiste") cite Spinoza :

    "Si ce célèbre Ancien qui riait de tout vivait de notre temps, il mourrait de rire, sans doute. Pour ma part, ces troubles ne m'incitent ni au rire, ni, non plus, aux larmes ; ils m'engagent plutôt à philosopher et à mieux observer ce qu'est la nature humaine. Car je n'estime pas avoir le droit de me moquer de la nature, et bien moins encore de m'en plaindre, quand je pense que les hommes, comme les autres êtres, ne sont qu'une partie de la nature..."
     
    Spinoza, lettre XXX, à Oldenbourg
     
    Il y a quand même un paradoxe, sinon un mystère, dans cette histoire : c'est que la servante thrace symbolise la superstition commune, plus habituée à craindre (les dieux, les esprits, les astres) qu'à rire....c'est plutôt le philosophe qui rit des superstitions du vulgaire ...
     
    mais la citation de Spinoza est là pour nous garder, et nous éviter de tomber dans l'aporie comme dans un puits. Le seul sens possible de cette petite histoire doit être de nous convier à philosopher, c'est à dire à quitter l'Egypte du sens commun et de la superstition du vulgaire...et l'on ne peut philosopher , en évitant les perplexités du gouffre (du puits sans fonds) et de la désorientation que si la philosophie science de l'UN, de l'Absolu, est UNE, malgrès et même en raison de ses divergences et "différences".
    Or voici comment le livre de Blumenberg est résumé dans l'un des liens que j'ai cités plus haut :
     
    «Il arrive ainsi à saisir l'exceptionnel succès de l'anecdote comme forme de la conscience que la philosophie a d'elle-même : "En fait, on ne peut rire des philosophes que si on se considère soi-même comme leur faisant exception. Et dans cette discipline chacun se considère apparemment comme l'exception de tous les autres." »
     
    On ne peut donc rire des philosophes (si l'on est un "traitre", c'est à dire quelqu'un qui a en apparence quitté le sol natal et tribal du sens commun pour de mauvaises raisons, liées à l'orgueil et au mépris des autres) que si l'on commet le péché contre l'esprit et contre la philosophie : tenter de détruire l'unité de la philosophie en se considérant comme un novateur génial, qui va enfin fonder la "vraie philosophie".
     
    Mais la vraie philosophie, elle est déjà là, et depuis toujours ! c'est à dire qu'elle est depuis toujours "en train de se faire" ! c'est celle des présocratiques, Xénophane en particulier, de Socrate, Platon, Descartes, Spinoza, Fichte, Brunschvicg...
     
    Et Brunschvicg ne cesse de nous mettre en garde contre le danger d'être imbu de soi même et de son individualité, de sa spécificité. Si nous voulons réellement philosopher, alors nous devons absolument renoncer aux fanfares médiatiques ou à leurs succédanés !
     
    mais c'est aussi un autre article de Brunschvicg, "Spiritualisme et sens commun", qui nous  invite à philosopher, et qui nous réconcilie aussi avec la servante thrace et avec nos semblables, nous mettant en garde contre ce qui serait "antiphilosophique" par excellence : le mépris des autres, qui n'est jamais que le signe de la crainte des autres, et une attitude vaniteuse...et donc vaine.
    Cet article est paru dans la Revue de métaphysique et de morale (fondée par Brunschvicg et Xavier Léon en 1893) de 1897, A5, pages 531 à 545, voici le lien sur Gallica :
     
     
    je l'ai recopié in extenso sur Scribd pour un accès plus facile :
     
    cet article admirable mérite un commentaire plus long (qui de toutes façons n'arrivera pas à sa hauteur, quasiment infinie), je me bornerai aujourd'hui à préciser ceci :
    si nous voulons éviter le péché par excellence, qui jamais ne sera pardonné, contre l'esprit et la philosophie, qui est de matérialiser l'esprit en l'assimilant à une "chose", à un objet, nous devons reconnaitre que l'esprit ne peut être que parcours (infini), passage, processus, acheminement de l'âme vers Dieu, "progrès de la conscience dans l'histoire"...
    or, pour qu'il y ait acheminement réel, il faut bien partir de quelque part, du sol natal, et le quitter.
    Il faut donc bien que le sens commun existe pour que l'on puisse le dépasser. Et celui ci est ainsi réhabilité à jamais. Comme le rire de la servante thrace est beau !
    sinon l'esprit serait....sur le mode d'une "substance". C'est là le péché, le "puits" d'où l'on ne remonte pas. Et nous n'y tomberons pas. Pas aujourd'hui tout au moins. Et demain est un autre jour....
    Je terminerai sur cette explicitation par Badiou (au début de "l'Etre et l'évènement") du Parménide de Platon , qui pourrait d'ailleurs résumer toute la philosophie de Brunschvicg, c'est à dire toute la philosophie :
     
    "L'UN n'est pas"
    Différentes formes de l'anecdote.

    Ayant retrouvé depuis peu mon vieil exemplaire du livre de Blumenberg : "Le rire de la servante de Thrace", je ne peux résister à l'envie de livrer ici un florilège de quelques citations de ce livre qui de toutes façons est digne d'une étude et d'une analyse beaucoup plus approfondies.

    L'histoire apparaît pour la première fois, semble t'il, dans une fable d'Esope (où il n'est pas encore fait mention de Thalès ni d'une servante de Thrace, mais d'un "passant" attiré par les gémissements de l'astronome (astrologos) tombé dans un puits, et qui le réprimande dans un discours moralisateur; fable accompagnée de cet epimythion :

    "on pourrait adresser cette fable (logos) à ceux qui se vantent d'accomplir des prodiges, sans pouvoir s'acquitter des tâches les plus communes"

    C'est Socrate qui dans le Théétète applique cette histoire à Thalès de Milet et "invente" (??) une servante de Thrace :

    "Thalès étant tombé dans un puits tandis que, occupé d'astronomie, il regardait en l'air, une petite servante de Thrace, toute mignonne et pleine de bonne humeur, se mit, dit-on, à le railler de mettre tant d'ardeur à savoir ce qui est au ciel, alors qu'il ne s'apercevait pas de ce qu'il avait devant lui et à ses pieds"

    et comme l'exige le genre de la fable auquel il se réfère, il ajoute aussi tôt cette "morale de l'histoire" :

    "Or, à l'égard de ceux qui passent leur vie à philosopher, le même trait de raillerie est assez bien à sa place"

    Et Blumenberg de signaler que dans le contexte platonicien, le point de référence de cette histoire n'est pas thalès mais Socrate lui même !

    Il analyse les variations de cette histoire au cours des siècles, qui sont très nombreuses, mais restent soumises à un invariant interprétatif : le rire de la servante reste le signe d'une incompréhension de la vie quotidienne et du "sens commun" face à l'étrangeté de la théorie.

    Mais il reste une ambiguïté difficile à clarifier : cette tension oppose t'elle le sens commun à la science, ou bien à la philosophie  ?

    difficulté cruciale pour nous, qui pensons que la philosophie a pour mission de "ramener à l'unité" les héros de la pensée pure que sont les mathématiciens (ou les savants) qui ne se contentent pas d'une "unification facile et à la portée du premier venu" (celle, en somme, du bon bourgeois ou paysan qui a SA femme, SA maison et SON dieu, qu'il croit universel) mais poussent à l'extrême incandescence le mouvement (commun à nous tous) du "se perdre dans le multiple" (puisqu'il est "plus moral de se perdre soi même que de se conserver" d'après la version dûe à Thomas Mann de la "servante de Thrace", à savoir Clawdia Chauchat dans "La montagne magique") jusqu'à .... jusqu'à .. traverser la mer et aborder aux rives du Néant?

    beaucoup plus loin, beaucoup plus : jusqu'à élaborer une théorie de la multiplité pure !

     la philosophie consiste à purifier les conceptions communes de Dieu à l'oeuvre dans les différents cultes religieux, y compris monothéistes, que le savant accaparé par ses difficiles et harassants labeurs "dans le champ du multiple"  n'a pas la possibilité de "redresser" en "donnant un sens plus pur aux mots de la tribu".

     "Le rire de la servante de Thrace", le livre de Blumenberg, en tout cas son interprétation "religieuse" dit en fait l'essence même de  ce vers quoi pointent ces simples mots :  "Dieu des philosophes et des savants" :

    "peut être la servante de Thrace avait-elle confondu la théorie des étoiles avec le culte de celles-ci, et avait à ce niveau tenu ses propres dieux pour les plus forts"

    ce sont les mots de Blumenberg page 160...et il est encore plus clair au premier chapitre, page 15 :

    "ce que l'astronome devait voir pour assurer la pérennité de sa science nous pouvons le découvrir ; ce qu'il a vraiment vu pour être captivé par sa theoria, nous ne le savons pas..pour la servante de Thrace qui voit le Milésien marcher dans la nuit dans une posture particulièrement inadaptée, l'hypothèse la plus vraisemblable est qu'il était à ce moment en train d'honorer ses dieux. Alors il est légitime qu'il trébuche car ses dieux n'étaient pas les bons...pour elle il n'y avait pas de dieux de son pays dans la direction où Thalès dirige son regard, vers le ciel étoilé. Ils étaient là où le Grec devait ensuite tomber.C'est pourquoi il lui fut permis de ressentir une joie maligne"

     Notre hypothèse (ou plutôt notre "axiome") est qu'il ne s'agit pas ici d'un "combat entre dieux" mais de l'entrée en scène dans l'Histoire du "Dieu des philosophes et des savants" : c'est "cela" (qui n'est pas un "vu", un spectacle) qui a "captivé" l'astronome-mathématicien-philosophe, et que ne peut absolument pas comprendre la servante thrace (ou qui que ce soit : dans d'autres versions c'est un homme égyptien !); le Dieu des philosophes et des savants ne s'oppose pas aux "dieux" en tant que "plus fort", ou "plus vrai", ou "véritable" (ce qui est le cas du "Dieu" du monothéisme par rapport aux dieux décrétés faux du paganisme). Le gouffre qui sépare les "deux mondes" (grec-moderne, ancien-oriental) est celle entre la recherche rationelle et les cultes collectifs...

    D'ailleurs plus loin dans le livre, se référant à l'interprétation dans l'hégélianisme d'Eduard Gans de l'histoire comme symbolisant l'apparition du monde grec, c'est à dire occidental, comme monde de la théorie, de la science et de la philosophie, comme monde où l'universel prend sens donc (à l'inverse de ce que dit Badiou qui voit la fondation de l'universalisme chez Saint Paul):

    "la servante de Thrace n'est certes pas une orientale mais elle vient de la zone de contact entre Europe et Orient et doit représenter l'instant, fixé par l'anecdote, de la séparation des mondes"

    Et il précise que l'oriental n'est pas (encore) déchiré, scindé en deux (esprit/nature)....aussi la première philosophie ne peut elle être qu'une philosophie de la nature

    Or, s'il est vrai que nous vivons actuellement la fin de l'Occident (comme le répètent avec complaisance les gazettes, nous parlerons quant à nous plutôt d'assomption de l' Europe, avec Abellio), cette petite fable s'avère d'une importance cruciale ! et c'est bien notre opinion....

    Heidegger a quant à lui exhumé la "petite histoire du Théétète de Platon" dans un cours de 1935-36 sur la question de la chose (publié en 1962). Et il y poursuit ce que Nietzsche avait commencé : faire jouer science et philosophie l'une contre l'autre. La science est rabattue sur le Gestell, l'arraisonnement du monde dans le dispositif technico-commercial et son hybris sans limite ni frein. La philosophie est "ce qui s'avère sans utilité " dans le monde du nihilisme et de l'arriasonnement, et qui doit donc provoquer le rire : la chute du philosophe est devenue le critère dde ce qu'il se trouve sur la bonne voie. Heidegger dit ceci :

    «C'est pourquoi nous devons définir la question : "qu'est ce qu'une chose ?" comme étant de celles qui provoquent le rire des servantes »

    Alors bien sûr, nous autres, petites taupes, petits êtres souterrains, Hans Castrop au petit pied fourchu, nous ne sommes pas dignes de dénouer le lacet de ces géants de l'Esprit que sont Heidegger et Nietzsche.

    aussi nous pardonnera t'on sans doute de nous réfugier, pour élever une timide protestation (qui n'a rien à voir avec les protestations moralisatrices suite aux révélations de Farias), sous le parapluie de cet autre géant qu'est Husserl : le philosophe (c'est à dire, pour Husserl, le phénoménologue) ne méprise aucunement les servantes, pas plus d'ailleurs que les prostituées, c'est bien la moindre des choses si comme nous le croyons le Christ (et non pas Jésus-christ, ce dieu païen qui n'est autre que Dionysos qui a finalement réussi à monter sur l'Olympe pour s'y installer à la droite de Zeus-Allah)  est l'Idéal du philosophe, le "Summus philosophus" (Spinoza):

    "il ne peut leur dire que ce dont elles devraient dire à leur tour qu'elles l'avaient vu , mais n'avaient pas pu le dire"

    et quelques lignes plus loin, à propos de la phrase de Heidegger :

    "du point de vue phénoménologique du rapport entre monde de la vie et essentialité, ceci devient une phrase d'une arrogance incroyable"

    Certes ! mais nous devons ajouter que nous apprécions l'arrogance, quand elle est véritable (ce qui exclut les petits gnômes de ce qui se donne actuellement pour pensée).

    Husserl est certes ici l'un de nos inspirateurs, mais nous préfèrerons, pour finir, nous référer encore une fois à Brunschvicg, qui évoque aussi la "petite histoire" dans le "Progrès de la conscience dans la philosophie occidentale", à propos du lancinant problème de la "chute du platonisme dans la mythologie" qui a pour notre époque des conséquences gravissimes :

    "la sagesse du philosophe qui s'est retiré du monde pour vivre dans l'imitation de Dieu a, comme contre-partie inévitable, la maladresse et la gaucherie qui le mettent hors d'état de s'appliquer aux affaires de la vie pratique, qui font de lui, comme jadis de Thalès, la risée d'une servante thrace (Théétète, 174a). Est il légitime de se résigner à cette séparation de la vertu philosophique et de la réalité sociale, qui s'est traduite, dans l'histoire d'Athènes, par des évènements tels que la condamnation de Socrate ? n'est ce point manquer à l'intérêt de l'humanité que de l'abandonner aux opinions absurdes et aux passions désordonnées de la multitude ? et la misanthropie n'est elle point, en définitive, un péché contre l'esprit au même titre que la misologie ? (Phédon, 89b)"

    et Brunschvicg, qui n'a jamais peur de regarder le soleil, ou plutôt l'abîme, en face, de préciser un peu plus loin :

    "s'il est décevant d'attendre que la justice procède spontanément de la sagesse, et s'il est pourtant interdit de désespérer du salut de l'humanité, il faudra, bon gré mal gré, consentir à se placer en dehors du centre lumineux de l'intelligence, et se résigner à escompter les moyens de fortune grâce auxquels peut être on verra converger vers l'hégémonie de la sagesse les conditions de la réalité physique et sociale"

    ou, en d'autres termes, ceux du Zarathoustra de Nietzsche : il faut que le philosophe accepte de descendre du sommet lumineux de l'unité, de décliner , par amour de l'humanité !

    admirez le "peut être" ! il prend tout son sens pour nous, pauvres ombres du 21 ème siècle, qui savons ce qu'il en est advenu de tous les "moyens de fortune" : communisme, capitalisme, démocratie, ou théocraties....

    et nous autres, nous qui ne pouvons pas décliner puisque nous ne sommes pas encore montés ?

    Eh bien, si du moins nous ne nous tuons pas, ce qui semble t'il s'avère être vrai (pour aujourd'hui, et donc aussi pour demain si comme je le crois l'orientation spirituelle sincère dure un peu plus longtemps qu'une gueule de bois, ou que "plaisir d'amour") : il nous faut faire l'effort (gigantesque) de travailler en vue de rejoindre le "centre lumineux de l'intelligence" , pour, peut être , plus tard, descendre, décliner, et escompter d'autres moyens de fortune....

    plus simplement encore : il nous faut préférer les leçons de mathématiques aux parties de bridge ou aux leçons de tennis (allusion à ce que raconte Raymond Aron de la terrible mort dans le désespoir de son frère, ancien champion d'avant guerre : "il avait préféré les leçons de tennis à celles de mathématiques")

     


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