• Métaphysique, Mathesis Universalis et ontologie : de la philosophie médiévale à Badiou en passant par Descartes

    La fameuse thèse émise par Alain Badiou dans "L'être et l'évènement" :






    "l'ontologie, ce sont les mathématiques"






    a pu sembler surprenante, choquante, voire révolutionnaire à beaucoup. Mais il semble qu'elle résulte d'une longue histoire de débats et de pensées.






    Jean François Courtine a écrit avec  "Surarez et le système de la métaphysique" un ouvrage tout à fait utile pour comprendre l'évolution de la pensée métaphysique occidentale à l'époque du jésuite Francisco Suarez, moment charnière se situant entre les grands auteurs médiévaux tant arabes que latins, et la modernité issue de Descartes et Spinoza au 17 ème siècle. Les "Disputationes metaphysicae" de Suarez, véritable "somme" de la métaphysique depuis Aristote, datent de 1597, les "Regulae ad directionem ingenii" de Descartes de 1630, le "Discours de la méthode" de 1637.






    Le chapitre : "Brève remarque sur le débat Descartes-Suarez" du livre de J F Courtine est tout à fait précieux, en ce qu'il permet de faire clairement le point sur la signification de la "Mathesis universalis" dont parle Descartes dans les "Regulae" (et dont il ne parle plus dans les ouvrages ultérieurs).





    Les analyses faites par Courtine permettent de lire Descartes dans l''horizon de la métaphysique moderne, qui est mis en place entre autres par suarez, et qui se caractérise par l'irruption de "l'objectité".





    Dans cette optique, les "Regulae" sont aux "Meditationes de prima philosophia" ce que l'ontologie générale, ou "metaphysica generalis" (discours sur l'Être en tant qu'Etre, selon Aristote) , est à la "metaphysica specialis", ou discours philosophique traitant de la théologie, de la psychologie et de la cosmologie (de l'âme et de Dieu).




    Jean-Luc Marion, dans "L'ontologie grise de Descartes", replace lui aussi les thèses des "Regulae" dans le projet général cartésien d'explication avec Aristote sur l'ontologie. Ontologie caractérisée par lui comme "grise" parce que l'objet y remplace la chose, la mathématisation y remplace l'ousia aristotélicienne, dans la "grisaille" de l'époque scientifique (Henry, autre philosophe chrétien, semble bien proche de Marion là dessus).




    Donc l'ontologie dont parle Badiou, qu'il rattache explicitement à la définition aristotélicienne de discours sur l'Etre en tant qu' être (ou sur l'étant en tant qu'étant), et qu'il identifie aux mathématiques, ou plus précisément à la théorie des ensembles ZF, est l'ontologie générale, et correspond à la mathesis universalis (qui n'est pas la mathématique universelle d'Aristote) de Descartes dans les Regulae, et à la metaphysica generalis de Wolff.




    La "prima philosophia" de Descartes est tout autre chose que son ontologie générale, ou mathesis universalis : il s'agit de la science du divin, en tant que premier dans l'être (dans l'ordo essendi, ou ordre synthétique, pas dans l'ordo cognoscendi, ou ordre analytique). Et cette prima philosophia, ou science divine, est le thème des Méditations, qui viennent après le projet d'ontologie générale. Méditations qui développent une recherche d'ordre ontique, venant après donc, comme il est normal, l'ontologie préalable, et présupposée, des Regulae. La chose est appréhendée, dans la métaphysique spéciale des Meditationes, en direction de son existence, dans son rapport donc à l'ego, suivant la thèse centrale cartésienne.



    Mais dans la metaphysica generalis des Regulae, nous trouvons une méditation métaphysique qui vise la chose en son "inquantum", dans sa réalité, procédant de manière générale, universelle (generaliter et universaliter) : l'étant est dans les Regulae uni-versé à son "être", et cette référence universelle est nommée "mathesis universalis". Ce terme constitue la réponse du Descates des Regulae à l'anonymat de la "science recherchée" (epistèmè zètoumènè) d'Aristote.



    Cette mathesis est aussi caractérisée comme "méthode générale" , qui s'étend à tout : dans une lettre à Mersenne de 1636 il précise qu'il s'agit d'une méthode "par laquelle je pourrais aussi bienexplquer toute autre matière (que la géométrie l'arithmétique ou la diotrique)".



    Dans ces lettres de 1636, on trouve donc la préoccupation de la science universelle comme méthode générale, tout comme dans les Regulae. Courtine va ici bien plus loin que Marion (et, à notre sens, il a raison) en ce qu'il montre que les Regulae constituent précidément une entreprise d'ontologie générale : "de omni re scibili".



    Dans cette métaphysique générale, l'étant est pris en vue dans son "in quatum" comme "mensuratum" et "ordinatum", donc selon l'odre ontologique de la série, série qqui s'origine à partie de l'unité dispositionnelle de la Mathesis. Cet ordre constitue une réplique à la doctrine aristotélicienne de l'unité par référence à un "premier" ("pros en"). Tous les étants se trouvent référés à l'unité d'un savoir transgénérique et transcendantal : la Mathesis universalis, qui est aussi la Sapientia universalis, "Sagesse humaine" qui reste une et la même, comme la lumière du soleil est Une tout en éclairant de nombreux objets différents.


    La mathesis des Regulae doit s'entednre prioritairement en fonction de l'adjectif déterminant : universalis. L'universalité de la Mathesis est première, en ce sens qu'elle n'a pas à être fondée sur une "primauté", ni se substituer à une philosophie première, au sens théologique.


    Par contre Descartes précise clairement, dans la Règle IV des Regulae,  qu'à ses yeux elle ne constitue pas la plus haute des sciences, ni une science suprême. La Mathesis y est située dans sa position propre qui est l'universalité, l'unité originaire qu'elle EST, donc en tant que science fondamentale, mais non suprême ou "divine"; l'ontologie prend ici la figure de "science de la science", et cette unité première de la science conduit ensuite à celle de l'anima : elle est l'unité et l'identité de l'humaine sagesse.


    La thèse de Badiou ( "l'ontologie, c'est la mathématique") n'est donc pas si révolutionnaire, ou nouvelle, que l'on pourrait bien le croire si l'on ignore le corpus de la métaphysique. Par contre il nous semble qu'elle se caractérise par une régression intellectuelle par rapport à son modèle originaire cartésien.


    Elle provient en effet, ou mène à, une confusion entre mathématique universelle (ou, chez Badiou, théorie des ensembles) et "mathesis universalis" en tant que scientia generalis chez Descartes; or la règle IV des Regulae, qui se construit sur une opposition entre deux "mathesis", interdit justement une telle confusion ou identification.


    Cette régression est selon nous l'un des plus importants symptômes de "l'ombre de cette pensée", pour appliquer à Badiou ce qui a été dit sur Heidegger.


    Une telle confusion sera t'elle évitée si l'on identifie "mathesis universalis" à théorie des catégories ?


    oui, ou du moins cela pourrait être notre hypothèse de travail, si l'on ne restreint pas la "théorie des catégories" à son pur appareil formel mathématique, mais si on la "plonge" dans un processus  philosophique plus général, ou transcendantal si l'on veut, consistant à isoler et expliquer, à l'intérieur d'un système unique, sa "solidité" de pensée (au sens de Wolff : "soliditas").


     Un tel système doit bien sûr s'appuyer sur la mathématique universelle dans sa forme catégorique, et sur son application à la physique notamment. C'est en vue de sa mise en oeuvre que ce blog est fait.


  • Commentaires

    1
    Mardi 27 Mars 2007 à 11:19
    contribution!
    Etre L'Apparence Est Matière Conscience Mouvement. La conscience est Sensation,croissance, Perception,déplacement, Apparition,communication. Conscient est.
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