• Pascal ou Malebranche ?

    Comment doit on parler du projet que nous avons défini dans l'article précédent de frayer une voie du Dieu des philosophes au Dieu chrétien ? comme d'une réunification, d'une assomption, ou d'une sursomption ?

    Mais si Dieu est UN , ou l'UN (plutôt que : "il n'y a qu'un seul Dieu", ce qui est la shahaddah islamique à laquelle nous avons déjà reproché d'objectiver Dieu, de le traiter comme "membre d'un ensemble à un seul élément"), alors nous n'avons à notre disposition que deux attitudes possibles envers le Dieu chrétien : soit le nier purement et simplement, en le traitant de chimère "des anciens temps", soit l'assumer, ou le sursumer, comme nous en faisons le projet ici, en le "suturant" sur le Dieu des philosophes, qui reste de toutes façons prédominant "pour nous" (pour la voie que nous empruntons).

    En effet, j'en suis venu à penser que la "démonstration", faite dans l'Ethique de Spinoza, de l'unité de Dieu, qui m'a semblé longtemps être le paradigme de la "démonstration philosophique", n'est pas aussi satisfaisante que j'avais pu le croire : elle s'appuie en effet sur l'appareillage métaphysico-euclidien de la Substance, qui de l'aveu même de Brunschvicg (citant Hannequin) s'est en quelque sorte effondré.

    Par contre si l'on part du Dieu des philosophes envisagé comme racine des valeurs universelles concernant le vrai (la science) et le Bien (l'éthique, la morale), alors tout devient clair : il n'y a qu'un seul Dieu des philosophes parce qu'il n'y a qu'UNE science (contrairement à ce qu'affirmaient les nazis, qui distinguaient une science juive et une science aryenne) et que par définition les VALEURS ne peuvent être qu'universelles (contrairement aux suggestions du mauvais Esprit du Temps qui passe son...temps à particulariser et multiculturaliser, bref relativiser, les valeurs).

    Se présentent alors à nous spontanément, qui cherchons à fonder notre projet sur la "tradition philosophique", deux philosophies principalement : celle de Malebranche et celle de Fichte.

     Bien sûr, avant eux comme avant Descartes, avant Erigène, vient Saint Augustin; mais je ne dirais pas que la philosophie de Saint Augustin se présente à nous "spontanément", à nous en tout cas qui venons "du dehors" par rapport au christianisme. C'est après un long parcours que nous pourrons accéder à ce grand philosophe que fut aussi, et avant tout, Saint Augustin.

    C'est d'ailleurs bien ce que nous suggèrent, à propos de Malebranche en tout cas,  les analyses de Brunschvicg, qui dit par exemple dans l'article "La pensée intuitive chez Descartes"  (communication au congrès Descartes de 1937) :

    « Ce que demande Malebranche au cartésianisme, c'est le moyen d'exprimer en termes de métaphysique intérieure la foi qu'il professait avant d'avoir connu Descartes. A travers toute son oeuvre, le Dieu des savants et des philosophes conduit vers le Dieu de Jésus-Christ »

    "La religion, c'est la vraie philosophie" : voilà le malebranchisme "in a nutshell" .

    «le service que la philosophie constituée sur la double base de la mathématique et de la mécanique cartésiennes, a reçu de la religion, elle le lui rend à son tour en nous permettant de définir les conditions dans lesquelles se dénouera le mystère du Mal, envisagé non plus dans la nature mais dans l'homme"

    Que Brunschvicg aille au delà du malebranchisme, considéré comme "dualisme"  en prenant appui sur le spinozisme considéré comme philosophie de l' unité radicale, c'est un fait ; et si ce sont là les données exactes du problème, alors notre projet est achevé avant même d'avoir commencé : il suffit de lire Spinoza, en particulier le Traité de la réforme de l'entendement et l'Ethique, et de les mettre en oeuvre.

    Or je ne suis plus du tout certain que ce soit là la voie juste, car Malebranche offre lui aussi une "méthode", bien plus simple d'ailleurs : celle de l'attention.

    Mais avant d'entrer dans ces réflexions de nature "problématologiques", il convient de considérer un autre "écueil", sur lequel se brise selon beaucoup toute tentative de rationalisme et de philosophie spiritualiste si elle prétend mener à "Dieu" : cet écueil, c'est la non-philosophie de Pascal !

    comment ne pas voir la fascination qu'il exerce sur Brunschvicg (comme sur tout homme d'ailleurs) , à tel point que l'exergue de la communication de Brunschvicg en 1928 sur la "querelle de l'athéisme" est entièrement placé "dans la lumière" de l'évènement du 23 novembre 1654, à savoir l"irruption du "FEU", de l'éclair,  dans la seconde expérience mystique de Pascal, un évènement décisif qui :

    "dévoile le cours imprévisible et inexplicable de la volonté céleste .... en renversant l'ordre de la nature avec la force contraignante d'un fait matériel, de même que la prophétie contredit à l'ordre de l'histoire"

    Voilà en effet, je le rappelle bien que je l'aie cité bien souvent, la manière dont Brunschvicg commence :

    "Le drame de la conscience religieuse depuis trois siècles est défini avec précision par les termes du Mémorial du 23 novembre 1654 (de Pascal): entre le Dieu qui est celui d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et le Dieu qui est celui des philosophes et des savants, les essais de synthèse, les espérances de compromis, demeurent illusoires. Il est donc important de soumettre à l’examen les moments du processus spéculatif qui explique et qui, selon nous, commande la nécessité de l’alternative."

    Un examen qui conduit à passer au large du "Dieu" du sens commun comme de celui de la métaphysique scolaire pour transiter par la "brèche" (la "voie étroite" ?)ouverte lors du déplacement de l'axe de la vie religieuse au 17 ème siècle "lorsque la physique mathématique  susceptible d’une vérification sans cesse plus scrupuleuse et plus heureuse, a remplacé une physique métaphysique qui était un tissu de dissertations abstraites et chimériques autour des croyances primitives"

    Cela, ce ne sera pas remis en cause, ou alors cela voudrait dire que le blog s'arrête comme devant un abîme...

    Mais le point où je veux en venir, c'est cette "évidence" (tellement banale et aveuglante que je n'avais jamais jugé utile de la mettre en avant) que c'est ici Pascal qui "a la main" (expression heureuse s'agissant d'un si grand amateur de jeux, ce qui d'ailleurs l'a orienté vers la fondation de la théorie des probabilités).

    Brunschvicg, ici, non seulement répond à Pascal, pour le désavouer bien sûr, mais en quelque sorte se place "dans le cadre de pensée" défini par Pascal deux siècles et demi avant !

     et ce n'est pas le seule fois qu'il procède ainsi, loin de là : ailleurs, il fera référence aux trois "ordres" pascaliens (du sensible, de l'esprit et de la charité) pour définir sa philosophie comme "retenant les deux premiers, niant le dernier" (mais Brunschvicg ne nie pas la charité : il la place simplement au niveau de l'esprit immanent).

    En fait, je me risquerai à prononcer le jugement suivant :

    c'est toute la philosophie moderne, pas seulement Brunschvicg, qui est placée dans la lumière (ténébreuse ?) de ce diable d'homme, ce génie qui est sans doute l'un des plus fascinants de tous les temps, qui par ailleurs a consacré sa vie à déconstruire (détruire ?) la philosophie pour la dépasser, la quitter (comme les Hébreux quittent l'Egypte)  vers la "terre promise" de la non-philosophie !

    on pourrait presque dire de cette lumière aveuglante : la lumière fossile du "Big Bang" du 23 novembre 1654 !

    Or cet "évènement" (qu'en dirait Badiou ? lui accorderait il ce statut ?) renvoie à un autre, celui de la "nuit de songes" de Descartes, du 10 au 11 novembre 1619, soit la veille de la fête de  Saint Martin (que l'on fête traditionnellement par des libations) :

    http://mapageweb.umontreal.ca/lafleche/rrr/2-rdes1.html

     Ces "trois songes" signent l'envoi de la révolution cartésienne, et donc de tous les temps ultérieurs (qui mènent à nous, mais peut être faudrait il ici se taire, par pudeur, et par respect de ces géants du 17 ème siècle ?); sans l'évènement de 1619, pas de Pascal ni de pascaline, et donc pas de mémorial de 1654.

    Alors pourquoi le second est il si connu (à défaut d'être compris) et célébré, par rapport au premier dont il dépend ?

    Au fond, les deux "proférations" sont comme les deux faces d'une médaille : celle de Brunschvicg en 1928 répondant à celle de Pascal en 1654 (qu'il a fait coudre dans son manteau pour la porter sur lui sans cesse jusqu'à la mort : cela ressemble fort à une profession de foi (non-) philosophique, quelque chose qui est écrit avec du sang, comme la profession de foi des fondateurs du matérialisme moderne de Berlin 1842).

    Mais toutes deux frappent de vanité tout projet analogue à celui de Malebranche , c'est là leur point commun.

    Un article (sur Jstor) à propos de l'interprétation de Pascal  chez Brunschvicg (

  • Brunschvicg's Interpretation of Pascal

  • Howard C. McElroy
  • Philosophy and Phenomenological Research, Vol. 11, No. 2 (Dec., 1950), pp. 200-212
  • Published by: International Phenomenological Society
  • http://www.jstor.org/stable/2103638?seq=1

    J'ai longtemps cru que je pourrais "éviter" le "ténébreux continent pascalien" et croiser très au large...

    je m'aperçois aujourd'hui que c'est impossible !

    http://www.bibleetnombres.online.fr/memorial.htm

    "L'an de grâce 1654,

    Lundi 23 novembre, jour de Saint Clément, pape et martyr, et autres au Martyrologue,

    Veille de saint Chrysogone, martyr, et autres,

    Depuis environ dix heures et demie du soir jusqu'à environ minuit et demie.

     

    FEU

     

    Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob,

    non des philosophes et des savants.

    Certitude. Certitude. Sentiment, Joie, Paix.

    Dieu de Jésus-Christ,

    Deum meum et Deum vestrum. Jean 20/17 *

    " Ton Dieu sera mon Dieu "

    Oubli du monde et de tout, hormis Dieu.

    Il ne se trouve que par les voies enseignées dans l'Evangile. "

     


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