• Dans son passionant livre "Talmud, science et philosophie" Jean-Michel Salanskis, qui est à la fois mathématicien et philosophe, (ainsi que juif appartenant à la tendance des mithnaggedim, mettant donc le Talmud au centre de leur étude) nous livre ses analyses sur le rapprochement entre fait mathématique et fait juif : l'approche négative (soustractive, dirait Badiou) de l'infini et de l'Etre (dans les axiomatiques cantoriennes) est l'un de ces rapprochemùents qui sautent aux yeux; la recherche de la Présence (ou de l'intuition) y cède la place à la notion de Loi (dans la torah comme dans la mathématique des ensembles).

    Mais c'est avec la définition de l'idolâtrie (centrale en judaïsme) qu'il donne les indications les plus intéressantes, tout au moins pour nous qui nous occupons de mathesis et aucunement de judaïsme. Le fait juif se définit non pas par le monothéisme ou par la transcendance ou encore par l'élection, mais par l'interdiction stricte des idoles. Selon Salanskis l'idolâtrie a deux acceptions :

    -le premier sens consiste en la surestimation non scientifique d'un étant (comme par exemple l'adoration d'un astre comme supra-sensible). Il s'agit donc de la fausse conscience par défaut de science. Tout à fait compatible donc avec l'approche scientifique occidentale moderne, pour ne pas dire plus.

    - dans la seconde acception, on vise le "pacte avec les forces de ce monde, qui en tant que profondes, secrètes et inaccessibles à la science, singent en quelque sorte la transcendance" : pour prendre un exemple plus précis, l'idolâtrie peut consister, en ce second sens, à se laisser emporter par sa colère pour en tirer plus de puissance. (On pourrait aussi songer au sexe ici). Dixit Salanskis : "Il y a dans le réel des forces secrètes, qui n'ont rien de surnaturel...mais avec lesquelles nous avons un rapport analogue à la transcendance...se produisant dans la vie humaine d'une manière qui n'entre pas dans la compétence de la science : c'est être idolâtre que de s'en servir".

    On peut donc être idolâtre par bêtise, ou bien par ruse (on songe aussi au vers de Celan : "un homme est assis dans la maison, il joue avec les serpents") dans Todesfuge.

    Nous ne retiendrons que la première acception, et soulignerons que la science moderne, cad aussi la philosophie si elle est considérée dans son sens unitaire de mathesis universalis, est en fait la réalisation , l'acomplissement de l'attitude juive si celle ci consiste à refuser tout compromis idolâtre. Mais bien évidemment, le judaïsme comme tout autre religion doit être purifié de ses éléments anthropomorphiques (Loi, commandements, Torah, mythologies, coutumes culturelles etc..) ; il est cependant le plus proche de la mathesis par rapport aux autres religions.

     


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  • Alice Becker-Ho (qui est la seconde femme de Guy Debord, et qui est restée avec lui jusqu'à ce que ce "stoïcien ivrogne" se suicide en 1994 parce que sa polynévrite alcoolique allait nécessiter une amputation et lui causait des souffrances insupportables) se signale par de très intéressants travaux sur les origines de l'argot, il y a environ 5 ou 6 siècles, donc à la charnière entre Moyen age et ère moderne. Voir par exemple :
     
     
    L'apparition du "jargon", ancêtre de l'argot, qui était la langue secrète des "coquillards" ou "bandes de malfaiteurs" (et qu'un grand poète comme Villon pratiquait fort bien) , coïncide avec l'arrivée en France des premiers tsiganes au 15 ème siècle (et je crois pouvoir affirmer aussi que ces tsiganes sont les descendants deshindous qui avaient dû fuir leur terre envahie par l'Islam, pour échapper à la conversion forcée ou à l'esclavage). Ce "langage secret" aurait été formé à des fins purement opérationnelles : échapper à la surveillance des "gens normaux" et de leur police.
    Mais c'est ici que l'on assiste à une "extension" tout à fait fascinante de ces résultats tenus pour acquis par les historiens officiels. La première extension est dûe à alice Debord elle même, la seconde, encore plus merveilleuse, est dûe au philosophe Giorgio Agamben s'inspirant des travaux d'Alice Debord, voir :
     
     
    Primo :
     d'après Alice Debord, l'argot apparu en même temps que naissaient les "classes dangereuses" contiendrait en son centre un second argot, qui ne serait secret ou "ésotérique" qu'en raison même de son absolue clarté (dialectique qui n'étonnera que ceux qui n'ont pas lu la "Lettre volée" de Poe et son commentaire par Lacan) : ce langage serait celui de la chevalerie du haut moyen âge, qui constituerait en fait une "société" d'essence "non marchande" fondée sur l'honneur et l'art de la guerre. L'analogue en Europe occidentale de la caste des "kshatriyas" en Inde (ou des samourais au Japon). Cette "caste" aurait été fondée sur le mérite, y aurait appartenu qui voulait bien devenir le "vassal" (le "disciple") d'un chevalier, et subir toutes les épreuves terriblement difficiles et dangereuses que cette inititation requérait. L'aristocratie héréditaire ne serait apparue qu'après, lors des temps modernes, et constituerait une dégénérescence, déclin ayant commencé lui même avec les Croisades, où ce qui constituait l'essence même de la chevalerie (l'honneur) s'est perdu au profit de la pure convoitise matérielle, qui donnerait plus tard la nature marchande de la civilisation moderne ("les eaux glacées du calcul égoïste" de Marx) qui est en fait l'analogue de la caste des "vaishyas" et "shoudras" hindous (marchands et cultivateurs). D'autres travaux soulignent eux l'aspect ésotérique du jargon, dans le compagnonnage notamment.
    Secundo (Agamben):
    je n'ai pas la place ni le temps de m'étendre trop, ce serait d'ailleurs en fait dommageable envers la pure "profération" intuitive qui est le coeur de la pensée d'Agamben à ce sujet, et dont son auteur (en provenance de l'ultra-gauche) souligne lui même honnêtement le cractère non démontré et extra-scientifique...en résumé :
     
    ": tous les peuples sont des bandes et des coquilles, toutes les langues sont des jargons et des argots. Il ne s'agit pas d'évaluer ici l'exactitude scientifique de cette thèse, mais de ne pas laisser s'enfuir sa puissance libératrice. " (bien entendu cette thèse n'est pas tout à fait cohérente avec celle d'Alice Debord, mais laissons cet aspect)
     
    cette thèse serait donc que tous les peuples avec leur langage propre (et ajouterais je leur religion propre, puisqu'un religion est à mon avis de nature ethnique, et non universelle) seraient en fait au départ des "tribus" issues de "bandes" ayant un code propre. Par la suite ils se seraient étendus jusqu'à devenir les peuples que nous connaissons (français, italiens, kabyles, etc..) appelés eux mêmes à se fondre dans la masse indifférenciée de la mondialisation. L'Islam n'échapperait pas à cette règle, volà pourquoi dans  les compagnons du Prophète peuvent être traités de "goodfellas", faisant ainsi allusion au merveilleux film de Martin Scorcese "Les affranchis" (en fait "goodfellas" serait mieux traduit par "les potes", mais l'idée est celle d'un gang, de gangsters). Toutes les religions, toutes les cultures, seraient en fait des gangs, des maffias qui auraient gagné en extension!
     
    mais c'est ici que j'interviens pour couronner le tout :
    j'observe en effet que ces "bandes" sont fondées sur la guerre, la violence et le code qui va avec, celui des kshatriyas, celui de l'honneur, de la hiérarchie, et du respect de l'autorité du "maitre".
    Mais l'on sait qu'en Inde comme dans tout l'édifice culturel indo-européen étudié par Dumézil il y a une caste encore au dessus des kshatriyas : celle des "brahmanes", dont l' élément est celui de l'étude, de l'Intellect.
    Je suis ici d'accord avec René Guénon (c'est rare !) pour affirmer la supériorité des brahmanes sur les guerriers.
    Mais quelle est la descendance des brahmanes dans les temps modernes, ceux faisant suite aux Lumières ? tout simplement les philosophes et les scientifiques. C'est à dire ceux qui ne fondent leur vie que sur ce que j'appelle la RAISON, seul propre à être universelle (comme on le voit avec évidence dans ce qu'elle a de plus haut, les mathématiques : il n'y a qu'une seule mathématique, mais plusieurs langages, plusieurs religions, plusieurs peuples, etc...).
    La Raison, c'est à dire la Philosophie  c'est à dire la Science se voulant universelle (et non plus limitée à l'arraisonnement" ou "Gestell" techno-scientifique justement dénoncé par Heidegger et visant au pur profit économique) est ainsi la seule possibilité offerte à l'humanité de s'unifier, et de transcender ainsi le stades des peuples, des ethnies, des "cultures" et des religions particulières (y compris celles se prétendant universelles, comme l'Islam ou le christianisme). En un mot, de dépasser définitivement le stade de la violence et des gangs, petits ou grands (y compris donc les gangs-nations ou les gangs-empires).
    Et je terminerai par ceci, qui n'est autre que la thèse du dernier Husserl : ce dont je parle ici n'est autre que la téléologie moderne européenne apparue avec Galilée et issue de l'ancienne Grèce, qui a la nature d'une Idée au sens platonicien. Cette Idée, celle de l 'humanité entièrement unifiée sous le règne de la Raison, n'est autre que celle de l'EUROPE, qui n'a donc rien à voir avec le territoire ,ouvert à tous les échanges marchands,  que l'on appelle de ce nom.
    "Assomption de l'Europe", disait le grand Raymond Abellio. 

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  • Une philosophie comme celle proposée par Alain Badiou, par exemple (dans "Etre et évènement" et dans le prochain opus "Logique des mondes", à paraitre au printemps 2006) met l'accent sur la relation entre la philosophie , qui est de par sa nature sous régime de l'Un (cf le neoplatonisme) et l'une de ses "conditions", la mathématique, qui d'après Badiou n'est autre que ce que l'on appelle depuis Aristote "ontologie" (="science de l'Etre en tant qu'Etre") , et qui "dissémine" l'Un dans le multiple pur, de manière évidente depuis Cantor : l'Infini n'est plus conçu comme l'Un (des métaphysiques à dominante religieuse) mais comme multiple (nombre) infini, et l'on a l'échelle infinie des cardinaux infinis de Cantor.

    C'est cette tendance philosophique, dénommée soustractive (parce qu'elle se situe en inversion par rapport aux philosophies de la présence), que l'on travaillera ici.


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