• La mystification de la philosophie

    L'introduction de la mystique en philosophie, ou la mystification, ou : Comment j'ai appris à ne plus m'en faire, et à aimer Chestov et Kierkegaard


     


    Wittgenstein a un jour déclaré que l'avènement de la philosophie analytique est comparable "à ce qui fait la différence entre l'alchimie et la chimie. Nous sommes désormais dotés d'une méthode pour faire de la philosophie, et nous pouvons parler de philosophes de métier".


    Mais il faut se méfier de Wittgenstein, en tenant compte ici des préventions de Badiou ou du philosophe chrétien Stanley Rosen (mais Badiou n'est il pas lui aussi chrétien en une certaine mesure, plus en tout cas qu'il ne se l'imagine ?) , qui voit en lui un nihiliste analogue à Heidegger; et ce d'autant plus qu'il s'agit d'un des personnages les plus fascinants de tous les temps, de par se capacité inédite au malheur et sa faculté à couper tous les ponts avec l'humanité ordinaire, et notamment avec la grande bourgeoisie d'où il était issu, mais aussi  d'ailleurs avec pratiquement tous les philosophes qui furent ses contemporains. Il en dit là à la fois trop et trop peu. Et l'homme qui conseillait à ceux qui le suivaient sur le "sentier mystique" où il voulait les mener de "surmonter ses propositions comme on monte les barreaux d'une échelle" n' a certainement pas mis sa maxime en application en devenant un philosophe de métier. et heureusement ! car on sent bien que cette notion a quelque chose de répugnant, comme si le philosophe de l'avenir devait être quelque chose comme un réparateur de voitures. Il est vrai que Husserl a assimilé les philosophes à des fonctionnaires de l'humanité, mais en tout cas ces fonctionnaires ne manifesteront sans doute pas pour protéger leurs avantages acquis !


    Je veux en venir au point suivant : Wittgenstein a beaucoup à voir avec Heidegger ainsi qu'avec Rorty et la philosophie post-analytique en ce qu'ils sont absorbés dans une tâche de mystification, envers les quelques rares étudiants un peu honnêtes de la philosophie. Mystification en tant que détour et déval dans la mystique, là où a priori elle n'a que faire. Et sur ce point je suis en plein accord avec Badiou et Stanley Rosen. L'oeuvre de la mystique est de part en part mystifiante.


    Il est paru récemment un livre tout à fait louable : "Heidegger et l'introduction du nazisme dans la philosophie" par Emmanuel Faye, qui entend montrer que toute déconstruction du cartésianisme engendre des monstres (comme le fait le sommeil de la raison d'après Goya). Mais à vrai dire Faye s'arrête au milieu du gué.


    Car c'est plutôt l'introduction de la mystique, c'est à dire la mystification, dans la philosophie qu'il aurait dû entreprendre de dénoncer et de combattre.


    La nazification des esprits (qui, de nos jours et dans notre "toute petite province de l'esprit" se nomme sarkonazification) n'est rendue possible que par une mystification, un déluge de foi ou plutôt de gnose irrationnelle, dans le Temple de la philosophie qui aurait dû en être préservé , et qui l'aurait été si l'oeuvre de Brunschvicg avait été promue au rang qui est le sien, le premier, en lieu et place de celle de son élève dissipé Sartre, suivi par le cortège dionysiaque des possédés, chamanes lacaniens et bacchantes des années 60.


    La nécessaire dénazification, que l'on aurait bien tort de croire terminée avec Nuremberg, passe donc à un niveau plus englobant par une démystification. Nous voulons être ici des épurateurs épistémologiques.


    Et ce ne sera pas une partie de plaisir ! je regardais l'autre jour les enregistrements filmés en direct, en 1945-1946, du procès de Nuremberg, et l'épisode terrifiant où l'on voit le procureur américain Robert Jackson  (naïf donc, comme tous les yankees ou presque) se faire rouler dans la farine par Goering ne m'a quant à moi pas du tout étonné. Dans un débat public, la violence pure et la sophistique auront toujours de grandes chances d'avoir le pas sur l'argumentation raisonnée. Car il n'y a que dans les dialogues socratiques que le LOGOS surmonte les prestiges de la mystique et de l'ardeur vitale et sentimentale (à quoi, au fond, se ramenait le racisme biologique nazi).


    Mais je ne peux plus longtemps passer sous silence une "pierre d'achoppement" dans tout le beau système des grandes consciences contemporaines de Saint Germain des Prés....conscient d'être celui par qui le scandale arrive, et qui méritera donc la première pierre ! voici :


    on sait , si l'on a lu les très beaux et lumineux ouvrages de Marlène Zarader, que ce bon Martin Heidegger, le monstre qui après avoir jeté dans les années 20 son dévolu de professeur célèbre et iconoclaste sur la femme juive la plus belle et la plus brillante d'Europe, Hannah Arendt, qui se trouvait de plus être son étudiante et avoir à peine 18 ans (horresco referens !) , a entrepris de nazifier la philosophie en la décartésianisant, ce monstre donc qui encourrait s'il était vivant les fureurs de toutes les associations bien pensantes réunies (et il y en a !), était en fait un héritier qui refusait de reconnaitre et de "penser" sa dette envers le monde hébraïque, celui de la Torah et des Prophètes. C'est là tout le développement brillant et convaincant de "La dette impensée". thèse que confirme la dette subséquente de l'introducteur du Talmud et du "Visage" dans la philosophie, je veux parler de l'estimé Emmanuel Lévinas, envers le Grand introducteur premier (voir primal). Même si l'on ne compte pas celles afférant à la belle Hannah (et de surcroît à l'insu du plein gré de la femme de Martin, une fieffée antisémite) je ne peux que murmurer ébahi :


    que d'introductions !


    comme l'autre disait : "que d'eau ! que d'eau !"


    Mais ces lamentables essais de dérision ne masqueront pas longtemps l'épouvantable issue qui guette le monde des intellos libres et antifascistes de la rive gauche : car si "Le parrain" Heidegger s'effondre, ce sont tous les seconds couteaux qui tombent avec lui. Dont Lévinas, et ceci me peine, surtout à cause de Finkielkraut pour lequel j'ai une estime réelle, et dont l'on connait les turgescences lévinassiennes, sur lesquelles s'est d'ailleurs appuyé Benny Lévy pour le violer intellectuellement tout en ayant son consentement : ceci a déjà été évoqué ici à propos de leurs dialogues, retracés dans leur livre écrit en commun : "Le Livre et les livres: entretiens sur la laïcité" Editions Verdier..


    Mais ceci n'est que le début du chemin de croix que vont devoir suivre, nouveaux christ en souffrance, nos modernes apôtres de la démocratie occidentale éclairée. Jusqu'à ce que peut être ils trouvent leur chemin de Damas et la nouvelle idole...pardon, le dieu à venir ? l'élément mystique ?


    car, allez, j'ose faire entrevoir le terrible abîme qui s'entrouvre sous nos, mais surtout sous leurs pas, car moi je me suis toujours tenu très au large de Lévinas et de la phénoménologie après son tournant théologique ; second service donc :


    s'il est possible de tracer une analogie entre l'introduction du nazisme en philosophie, et l'introduction du judaïsme par Lévinas, ou du christianisme (par Henry , Marion et d'autres) et pourquoi pas l'introduction du soufisme (nom politiquement correct de l'Islam des Lumières) et de la théosophie, alors...alors... o mes frères aurez vous le courage de regarder en face le tsunami qui s'annonce ??


    Cela veut tout simplement dire qu'il n'est pas tout à fait insensé de mettre dans le même sac que je dénommerai "mystique" aussi bien la gnose occultiste nazie (qui avait beaucoup à voir avec la théosophie de Blavatsky ou de Jacob Boehme, et revendiquait, en tout cas en paroles, sa filiation avec Maitre Eckart, lisez là dessus le "Mythe du 20 ème siècle" par Alfred Rosenberg) que le Talmud, la Qabbalah, le Coran, les Evangiles et le nagual par dessus le marché!


    Et c'est précisément ce que je fais ici.


    Abstractions coupées de la réalité vivante, de la foi du charbonnier ? Que non pas ! j'ai remarqué un jour combien la catégorie "philosophie" des forums créés par tout un chacun , est encombrée de thèmes qui n'ont rien à voir avec la philosophie et la rationalité mais beaucoup avec la foi, la mystique, la transcendance, les Rose Croix, l'alchimie, la théosophie, les druides, la conscience cosmique intersidérale, j'en passe et des meilleures. Il suffit pour s'en assurer de regarder ce qui se passe sur MSN:


    http://groups.msn.com/browse.msnw?catid=279


    où notre "Mathesis universalis"  est bien l'un des seuls groupes où les adeptes du soufisme tantrique transcendantal ne font pas de vagues, et pour cause : j'y exerce une censure de tous les instants, en grand ayatollah fanatique que je suis.


    Il est vrai que cette catégorie compte aussi, en apparence, une autre forum se réclamant de la "vraie philosophie", dont j'ai parlé plus d'une fois ici même, "Philosophie contre superstition" :


    http://groups.msn.com/PhilosophiecontreSuperstition


    qui est aussi associé à un blog :


    http://philosophiecontresuperstition.over-blog.com


    l'animateur de ce forum et de ce blog, qui se réclame de Spinoza via Constantin Brunner et se prend pour le seul "vrai philosophe" chargé par "une nécessité supérieure" de donner des leçons à toutes les stars des médias et de la politique ainsi qu'à tous les faux philosophes (dont votre serviteur) qu'il appelle "philosopheurs" (j'ai même eu droit pour ma part à celle d'alchimiste), ne présente guère d'intérêt sinon qu'il s'agit d'un mystique de la plus belle eau ("un c... et un beau ! "comme aurait dit Jean Gabin lors de sa grande période avec son inimitable intonation gouailleuse. Et il me permet pour finir de mettre l'accent sur un aspect généralement méconnu de l'esprit mystique.


    On associe le plus souvent ce dernier à la transcendance, à "ce dont on ne peut pas parler" (Wittgenstein), aux "limites de la connaissance" chères aux physiciens en goguette dans les salons du 16 ème où l'on cause, à "cet inexprimable inconnaissable et inintelligible que nous comprenons tous si bien sans avoir à nous le dire" . Bref  à ce qui est inaccessible à la "putain du Diable" : la Raison.


    Et l'on a raison de tracer cette association. Mais il ne faut pas en oublier une autre, qui est celle où vous tomberez nez à nez avec notre ami de la lutte contre les superstitions, et où l'illusion qu'il donne d'être un "antimystique" de par son combat incessant contre les "transcendances" (q'ui appelle les relatifs absolutisés) tombe à l'eau et ne saurait plus longtemps servir de cache-sexe à son mysticisme avéré :


     Je veux parler de cette manière, si présente chez René Guénon aussi , de présenter la Vérité comme immuable et comme ayant déjà été dite en totalité par le passé. Chez notre ami c'est par Spinoza ainsi que des mystiques véritables comme Bouddha ou le christ (on se demande bien où est ce qu'il aurait bénéficié de la connaissance du véritable message du Christ ou du Bouddha ?); chez Guénon on convoque la Tradition immuable "d'avant la modernité". Chez d'autres ce sera la "philosophia perennis", sorte d'ersatz de guénonisme.


    Il est donc avéré que même Spinoza, l'esprit sans doute le plus représentatif de la rupture du 17 ème siècle et de la volonté d'éliminer les "qualités occultes" par la rigoureuse mathesis, peut aussi se retourner en son contraire et devenir une arme dangereuse entre les mains des mystiques et religieux, tous acharnés à la revanche de la Foi sur la raison. D'ailleurs une autre confirmation de ce fait se trouve dans la tentative islamique (chez un penseur aussi sympathique qu'Abdelwahhab Meddeb, et un faiseur aussi grand guignolesque que le recteur Dalil Boubakeur) de "ramener Spinoza" dans le giron des mystiques (ce sont les propres paroles de Boubakeur).


    Ceci n'étonnera aucunement l'adepte de la dialectique marxiste, ni non plus, et ceci nous concerne plus directement, le lecteur de Brunschvicg, dont je citerai pour finir un passage infiniment révélateur sur l'ambiguïté de la notion de "nécessité" et donc l'ambiguîté concomitante du spinozisme. Passage se trouvant dans sa thèse "La modalité du jugement", chapitre premier, paragraphe VI "de la catégorie de modalité"):


    "et l'on apercevra toute l'importance de cette ambiguïté de la notion de nécessité, si l'on remonte du monisme logique de sigwart au monisme métaphysique de Spinoza. La nécessité externe, par laquelle l'être fini reçoit d'autrui ses modifications et ses déterminations, peut elle être identifiée avec la nécessité intérieure par laquelle l'être cause de soi développe tout ce qui est de son essence ? L'une est imagination et esclavage ; l'autre est raison et liberté. C'est parce qu'elles sont distinctes qu'il y a une logique dans le spinozisme; parce qu'elles sont opposées qu'il y a une morale.


    Et il n'en est pas moins vrai que la métaphysique panthéiste essaie d'en établir l'unité en déduisant de la nécessité intérieure par laquelle Dieu est cause de soi, la nécessité extérieure par laquelle les modes finis dépendent d'autres modes. De là, deux interprétations possibles de l'Ethique : l'une, morale et dualiste; l'autre, métaphysique et moniste; ce qui atteste, à tout le moins, une grosse difficulté dans le spinozisme"


    "Là où est le plus grand danger croît aussi la plante qui sauve" disait Hölderlin si cher à Heidegger; cet article où j'ai montré à l'oeuvre la mystification de la philosophie sera suivi, si le Saint Béni Soit il n'entrouvre pas sous mes pas pécheurs l'océan de feu,  d'un autre sur la nécessaire épuration du Temple de la philosophie de tout ce qui est religieux et mystique, épuration qui sera donc une démystification et qui porte le nom de ce blog :


    "Mathesis universalis"


  • Commentaires

    1
    Vendredi 6 Octobre 2006 à 16:29
    Tu exagères,
    je n'ai pas la tête à lire. Je devrai attendre lundi, voire pire.
    2
    Vendredi 6 Octobre 2006 à 16:29
    Mais je me ferai un plaisir
    d'y revenir.
    3
    Lundi 9 Octobre 2006 à 14:27
    qu'à cela ne tienne !
    Salut cosmic dancer ! mais je t'en prie, reviens quand tu le veux, et surtout ne lis que ce qui te fait plaisir. C'est important le plaisir dans la vie, et pas seulement en philosophie.
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