• Picnic at Hanging Rock ( film de Peter Weir)

    Quel film splendide, réalisé par Peter Weir ("Le cercle des poètes disparus") en 1975 !

    Je n'ai pas envie de raconter l'intrigue avec mes pauvres mots, de toutes façons l'intrigue n'est pas l'essentiel, puisqu'elle ouvre sur le mystère, et qu'il n'y a pas d'explication à la fin, c'est d'ailleurs ce qui fait tout le charme étrange, envoûtant et un peu terrifiant du film... voir les liens suivants pour un résumé sommaire :

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Pique-nique_%C3%A0_Hanging_Rock

    http://en.wikipedia.org/wiki/Picnic_at_Hanging_Rock (en anglais, plus complet, contenant notamment des liens intéressants à la fin, par exemple http://www.bookmice.net/darkchilde/rock/picnic.html  )

     

    http://www.devildead.com/indexfilm.php3?FilmID=858 , en français, avec une analyse "philosophique" du scénario, dont j'extrais ceci :

    "PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK fonctionne comme un affrontement entre deux mondes : d'une part une grande-bourgeoisie coloniale d'origine britannique ; d'autre part, un pays, l'Australie, dominé par des forces liées à la nature et présentes depuis des millions d'années. Les "victimes" de Hanging Rock sont ainsi de jeunes gens raffinés, issus des plus hautes classes sociales anglaises. A deux reprises, l'influence de la mystérieuse roche nous est exposée : lorsque les trois jeunes filles s'y promènent avant de disparaître ; lorsque Michael l'explore seul. Ils sont d'abord pris sous une emprise hypnotique, les poussant à s'allonger et à s'endormir. A son réveil, Michael a les mains et le visage couverts de mystérieuses traces de coup, tandis que sa visite a provoqué la réapparition, non moins incompréhensible, d'Irma, une des disparues de la Saint-valentin, qui porte le même type de blessures.

    Par contre, les policiers et autres australiens d'extraction plus modestes (comme Albert, le serviteur de la famille Fitzhubert) semblent épargnés par cette influence destructrice. Il est possible, dès lors, que ces colons, implantés depuis plusieurs générations sur le continent et ayant créé un mode de vie mieux en harmonie avec lui, sont tolérés par le rocher. Mais, les visiteurs liés à la société britanniques, qui tentent, eux, de reconstituer à l'identique l'univers anglais et ses coutumes se condamnent à rester des étrangers dans ce pays, qui les rejette ou les broie. "

    Avant de faire brièvement ma propre analyse, je souligne que pour autant que ma mémoire est fidèle, et contrairement à ce que dit le premier lien wikipedia, en français, l'ensemble de rochers où disparaissent les jeunes filles n'est pas un ancien lieu de culte aborigène...

    Le scénario n'est pas tiré d'une histoire réelle, mais d'une nouvelle de Joan Lindsay, qui au départ avait écrit un chapitre final donnant une "explication" des faits. Mais elle l'a abandonné, sur les conseils de son éditeur, et ce fut une heureuse initiative, car ce chapitre "explicatif" se situe sur le plan de la science-fiction la plus "matérialiste" (les "trous de vers" et autres "time warps"), bonne pour les neuneus qui adorent ce genre de bêtises, il est résumé ici :

    http://en.wikipedia.org/wiki/The_Secret_of_Hanging_Rock

    mais laissons là ces nunucheries et revenons à l'analyse dont j'ai recopié l'extrait quelques lignes au dessus. Ce qui est dit est "vrai" (factuellement) mais il n'y a qu'un seul inconvénient : cela noie le "sens" réel du film dans une bouillie là encore "matérialiste" (la Nature primordiale contre les civilisés, etc...).

    D'accord, il y a des vérités là dedans, encore une fois... mais la formulation naïve employée (comme par exemple : "le rocher tolère les australiens parce qu'ils ont développé un mode de vie mieux en harmonie avec le continent australien") est assez risible... surtout quand on connait les conséquences de ce "mode de vie" des colons australiens sur la vie des  aborigènes, par exemple !

    Je dirai pour ma part qu'il s'agit d'un film initiatique, pour la bonne raison que son thème est l'initiation  : l'intiation de ces quatre femmes anglaises (les trois jeunes filles et  leur "professeur", qui va les rejoindre) à ce que j'appellerai les "mystères chtoniens primordiaux". Il me semble qu'il existe de beaux poèmes de Samuel Taylor Coleridge ayant une thématique assez proche, comme "Geraldine" par exemple.

    Je viens d'adopter, avec les "mystères chtoniens", une terminologie un peu à la sauce occultiste ou "ésotérique", mais je précise tout de suite que justement ce genre de livres (ceux de Rudolf Steiner par exemple, et de la littérature "anthroposophique") "trahit" un peu ce qu'il y a de plus essentiel dans cet ordre de "choses" : le mystère justement, le fait que cela ne peut pas être évoqué dans nos formulations "rationnelles quotidiennes". Aussi le langage poétique, de Coleridge, de Tennyson, ou des autres poètes qui ont traité ce genre de thèmes, me parait il nettement mieux adapté. 

    Il ne faut absolument pas essayer de "se figurer", ou former des hypothèses, sur ce qui est "réellement" arrivé à ces jeunes filles (et encore une fois il s'agit d'une oeuvre de fiction, qui n'a été inspirée par nul évènement "réel") sinon on trahit complètement le "sens" qui est à mon avis celui qu'a voulu donner Peter Weir à son oeuvre.

    Donc ceux qui sortent en se disant : d'après moi elles ont été violées et tuées par une secte se livrant à des cérémonies païennes sous terre, ou par des sadiques, ou enlevées par des extra-terrestres, ou passées dans une autre dimension de l'espace -temps, ceux là manquent totalement la dimension spirituelle du film : car ils commettent le péché contre l'esprit qui ne sera pas pardonné, en matérialisant le spirituel.

    Pa contre l'approche "symbolique" que l'on trouve plusieurs fois dans le film lui même, qui "montre" le destin des jeunes filles par le biais de cygnes nageant sur l'eau, et elle tout à fait juste. Car il me semble me souvenir que le cygne, dans l'orphisme, symbolise le "devenir" de l'âme des bienheureux  "après la mort" .

    De même, lors d'un passage très beau vers la fin, on montre Miranda qui "apparait" à Michael devant une sorte de grotte sombre, puis y disparait aussitôt; il y a bien des analogies avec le mythe de Perséphone, qui possède une dimension "ésotérique" évidente, et souvent évoquées dans les ouvrages "occultes".

    Mais il est important, à mon sens, de ne pas fuir, avec ces images très belles à la David Hamilton, la dimension "chtonienne" et explicitement sexuelle de l'aventure, visible par exemple dans le fait que les jeunes filles enlèvent leur corset et leurs chaussures, que la "professeur" qui va les rejoindre enlève sa robe et monte la pente juste avec ses collants, etc..

    sous ce rapport, tout ce qui est dit plus haut à propos de l'époque victorienne est juste...

     A mon avis, la littérature occultiste, mystique, anthroposophique ou théosophique trahit la "réalité" de ce que l'on appelle "initiation" en le rationalisant bien trop. Car la marque principale de l'intitation est son aspect terrifiant et destructeur de toute "forme", puisque l'individualité y est totalement perdue, ce pour quoi elle est assimilée à une sorte de "mort".

    Je veux aussi souligner que le rationalisme, le vrai, ne nie absolument pas le "mystère" ou les dimensions "occultes" ou "initiatiques". Il se représente la "Raison" comme une île, une toute petite île perdue au milieu d'un océan d'incompréhensible et de "mystérieux".

    Mais cette petite "île" de la conscience claire et rationnelle vaut mieux que tout l'océan : parce qu'elle constitue notre effort spirituel, notre activité proprement humaine , notre "noblesse" qui consiste à ne pas se laisser submerger par l'irrationnel, à lui dire, un peu comme Dieu dans le "Livre de job" quand il s'adresses à la mer :

    "tu iras jusque là, mais pas plus loin !"

    L'époque victorienne , ou celle de la bourgeoisie du 19 ème siècle et de son positivisme scientiste, s'est fracassée contre le mur du temps que fut la guerre de 1914-1918 et y a disparu corps et âme.

    D'ailleurs, elle avait déjà rendu les armes en 1905, avec l'émergence de la relativité d'Einstein et de la physique des quantas de Planck, qui avaient donné un démenti terrible à l'appréciation fate à la fin du 19 ème siècle par Lord Kelvin :

     "la physique a résolu tous les problèmes, maintenant il n'y aura plus que des gains de précision dans les mesures" !

    les "mystères chtoniens" se sont alors manifestés dans les "joyeuses" années d'après guerre, ce fut le début de la démocratisation de la drogue, une tendance qui s'est encore accélérée après 1945. Et le cortège dionysiaque des thaumaturges et autres disciples de Pan  a envahi jusqu'à notre terre d'Europe depuis lors...

    disons le tout net : la mentalité victorienne et la "belle époque" de la bourgeoisie de 1900  étaient fondées sur une hypocrisie fondamentale et répugnante.

    Mais doit on pour autant souhaiter l'éclipse totale (allusion à un fameux film d'Antonioni, qui à mon avis traite exactement de ce thème là) de la Raison ?

    non car les "mystères chtoniens ou initiatiques" coïncident, s'ils n'ouvrent pas à une dimension "supérieure", dite "solaire" ou "céleste" , avec une destruction totale, celle qui guette l'humanité en ce début de 3 ème millénaire.

    Certes l'intégration des niveaux inférieurs (ceux du dionysiaque, du chtonien, au niveau quotidien : du sexe) est absolument nécessaire, sinon , pour en revenir à l'histoire du film, les jeunes filles resteraient des "oies blanches" victoriennes et bourgeoises. Sans aucune chance donc de s'ouvrir aux dimension supérieures de l'Etre.

    Mais le dionysiaque et le chtonien, s'ils ne cèdent pas la place à autre chose, à des "mystères supérieurs", disons apolliniens, n'amènent qu' à la destruction de la personne.

    Comme on le voit maintenant tous les jours, avec le malheureux destin de ces jeunes filles qui "fuguent", semblables à la chèvre de Monsieur Seguin qui voulait tant quitter son pré carré et ennuyeux et aller vivre en liberté dans la montagne où est le loup: qui fuguent pour tomber dans la drogue, puis la prostitution, puis la mort... une mort toute prosaïque, qui n'a plus rien d'initiatique !

    Cette voie supérieure, c'est pour nous, rationalistes,  la philosophie "rationnelle" ; selon l'approche spirituelle dite "anthroposophique", la rationalié ne suffit pas.

    Mais nous nous séparons de l'anthroposophie, pour les raisons que j'ai indiquées plus haut, et pour d'autres, qu'il n'est pas lieu de spécifier ici.

    j'ajouterai seulement qu'il existe dans la philosophie une "voie" qui déclare explicitement qu'elle dépasse la philosophie rationnelle "seulement négative" dans ce qu'elle caractérise comme une "extase de la Raison" (et non pas une raison extatique, qui serait inspirée par le cortège des thaumaturges et autres chamanes) : je veux parler de la dernière philosophie de Schelling, appelée par lui "philosophie positive", ou "philosophie de la Révélation" c'est à dire explication philosophique des "mystères chrétiens".

    Et j'aurai encore à parler de cette philosophie là, sans aucun doute ...

     mais aujourd'hui, je préfère terminer avec un petit coup de Wittgenstein pour la route... le Tractatus est lisible sur le web en édition biliingue, allemand-anglais, à l'adresse suivante :

    http://www.kfs.org/~jonathan/witt/tlph.html

    à tous ceux qui voudraient quand même "parler" (sur un mode prosaïque, non poétique) du destin de ces jeunes filles du film, je répondrai à coups de versets du Tractatus : (en anglais hélas.. mille excuses..trop fatigué ce soir pour traduire):

    6.44 Not how the world is, is the mystical, but that it is.

    6.45 The contemplation of the world sub specie aeterni is its contemplation as a limited whole.

    The feeling that the world is a limited whole is the mystical feeling.

    6.521
    The solution of the problem of life is seen in the vanishing of this problem.

     

    (Is not this the reason why men to whom after long doubting the sense of life became clear, could not then say wherein this sense consisted?)

    6.522
    There is indeed the inexpressible. This shows itself; it is the mystical.

     

    et , bien sûr , le dernier verset , le septième (comme, au septième jour, D-ieu s'est reposé parait il de son oeuvre):

    7
    Whereof one cannot speak, thereof one must be silent.

     

     


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