• Je suis tombé récemment sur un livre qui m'a fait l'effet d'une gifle : "Comment la vérité et la réalité furent inventées" par Paul Jorion.

    Et je l'ai acheté bien sûr, non pas que j'apprécie tellement les gifles, mais le thème du livre m'a paru tout à fait intéressant, puisqu'il prend à peu près totalement le contrepied de tout ce que je développe ici depuis des années (ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : je n'ai pas dit qu'un monsieur comme Paul Jorion a écrit un livre pour contredire mon blog... je suis peut être dingue et paranoïde, mais pas encore à enfermer !).

    Paul Jorion, c'est du lourd, du très lourd : c'est par exemple l'un des rares économistes qui avaient prédit la crise de 2008 (j'aurai la charité, pas chrétienne mais tant pis, de vous épargner les noms de ceux qui ne l'ont pas vue venir et qui pourtant nous les cassent avec leurs leçons et leurs plans de relance).

    D'ailleurs son blog est dans mes liens depuis longtemps, je le redonne ici :

    http://www.pauljorion.com/

    Paul Jorion essaye de montrer que les notions de "vérité" et de "réalité" ("objective")  sont nées, la première dans la Grèce antique, la seconde dans l'Europe du 16 ème siècle.

    Cette dernière résulte selon lui d'un coup de force opéré à la Renaissance par les "jeunes Turcs" de l'astronomie moderne, coup de force reposant sur l'assimilation entre le monde "tel qu'il est" et le monde des idéalités mathématiques. On pense évidemment à l'avis de Galilée, selon lequel "la Nature est un livre écrit dans la langue mathématique".  ainsi ce serait de cette époque que daterait la notion moderne de "modèlisation mathématique", en usage en économie, discipline de Jorion.

    C'est évidemment là que se situe l'opposition irréductible entre la démonstration de Jorion, et la conception défendue ici, selon laquelle le sens de la mutation scientifique du 16éme-17 ème siècle doit plutôt être cherché dans le registre religieux. L'oeuvre de Copernic doit être considéré comme une "christianisation" de l'entendement et de la raison.

    Jorion va plus loin et note que les "rendements" de l'invention du modèle mathématique sont "décroissants", bref que la science moderne touche à ses limites. Il appelle donc à se débarrasser du "mysticisme mathématique" et à réhabiliter la rigueur conceptuelle et logique, en réassignant au modèle son statut de représentation. Il plaide pour un "retour à Aristote" et se situe dans la ligne de Hegel, kojève et Wittgenstein. Le livre de Jorion a de nombreuses correspondances et proximités avec le livre "Dialectique et matière" qui marque lui aussi un retrait vis à vis de l'entreprise de la physique mathématique moderne pour revenir à la Logique de Hegel.

    Et il s'en prend aussi au célèbre  théorème d'incomplétude de Gödel , en illustrant ce qu'il appelle les "faiblesses" de la démonstration de Gödel dans le cadre de la théorie philosophique (aristotélicienne) de la preuve. ainsi par exemple, selon lui, le fameux procédé de "gödelisation", consistant à coder arithmétiquement des propositions métamathématiques, est une erreur de raisonnement consistant à confondre un "artifice" produit dans un espace de modélisation avec un effet dans le réel.

    Pour s'informer sur le théorème de Gödel :

    http://www.ltn.lv/~podnieks/slides/goedel/theorem.htm

    Ailleurs sur son blog il annonce qu'il a aussi découvert des erreurs de raisonnement dans les théories d'un célèbre physicien, prix Nobel, qu'il ne nomme pas.

    Voici les références sur son blog, à commencer par un long article sur la "magie des mathématiciens" et le théorème de Gödel :

    http://www.pauljorion.com/Le+math%C3%A9maticien+et+sa+magie+%3A+th%C3%A9or%C3%A8me+de+G%C3%B6del+et+anthropologie+des+savoirs-1.html

     sur le livre "Comment la vérité et la réalité furent inventées" :  http://www.pauljorion.com/blog/?p=3179

    sur le prix Nobel de physique :  http://www.pauljorion.com/blog/?p=4337

    et sur le théorème de Gödel encore : http://www.pauljorion.com/blog/?p=44

     Je n'ai pas encore lu le livre, donc je ne me hasarderai pas aujourd'hui à aller beaucoup plus loin...


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  • J'ai toujours pensé (sans être bien sûr d'accord avec ses opinions politiques) que Maxime Gremetz est quelqu'un de bien.

    Et ce que j'ai entendu l'autre jour à France Info, entre 3 h 30 et 4 h du matin, me confirme dans ce sentiment

    http://pcfsaintquentin.unblog.fr/2009/12/03/vous-nentendrez-pas-maxime-gremetz-promettre-un-coup-de-poing-a-sarkozy/

    http://www.leblogtvnews.com/article-maxime-gremetz-des-propos-censures-par-france-info--40396147.html

    car si censure il y a eu d'après le Canard encahîné, elle n'a pas été totale pisque j'ai entendu cette anecdote savoureuse à 4 h du matin . Insomnie bénie !

    peut être que France Info ne se méfie pas des noctambules (qui font d'ailleurs tout autre chose qu'écouter la radio) ni des insomniaques ?

    J'ai bien entendu donc Grmetz raconter ceci lors de son interview par Philippe Vandel (l'ancien expert en pornographie de Canal Plus) :

    «En 2003, alors que Sarkozy est ministre de l'Intérieur, Gremetz lui demande un petit coup de main pour aider un couple de sa circonscription à adopter une petite Marocaine. Sarkozy lui répond : “T'inquiète pas”, mais “là-dessus arrive la canicule”. A cette occasion, Gremetz, membre de la commission d'enquête parlementaire, critique Sarkozy. Gremetz poursuit : “Et puis un jour, je vois Sarkozy à la buvette et je lui dis : dis donc, ma petite gamine, elle est toujours pas arrivée ?”

    Sarkozy lui rétorque vigoureusement : “Toi, comme les autres, tu dois savoir qu'avec moi c'est donnant-donnant. Toi, avec ta petite, tu vas te faire foutre !”

    Gremetz ajoute : “La vérité, il faut toujours la dire, fût-ce au président de la République”. Puis, son ultime réponse à Sarkozy : “et je lui ai dit autre chose : maintenant, tes gars, ils sortent de la buvette parlementaire, c'est notre buvette ! Et toi aussi. Et si on n'était pas là (à l'Assemblée), ce serait mon poing dans la figure ! Maintenant, quand tu me vois sur un trottoir, change de trottoir ! “. »

    Je ne dirai pas, quant à moi, ni même ne suggèrerai, que Gremetz ment, ni même exagère.

    Car j'ai toujours pensé que c'est un type bien, et je dois dire que le ton qu'il avait témoignait d'une sincérité absolue. Et puis cela colle tellement avec tout ce que nous savons maintenant sur Sarkozy !


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  • L’ensemble de la péninsule ibérique a été reconquise par les armées chrétiennes d’Isabelle de Castille et de Ferdinand d’Aragon. (…) La royauté d’Espagne doit cependant composer avec la présence sur son sol d’une importante minorité ethnique musulmane, les Mudejares.
    Au départ la volonté est à l’intégration et les objectifs des souverains sont de les considérer comme des sujets à part entière au même titre que les chrétiens. Des opérations de conversion de grande envergure sont organisées mais les résultats sont médiocres.
    Il s’avère en réalité que les convertis ne le sont que de façade et continuent à être musulmans. (…) Plus que cela, la minorité musulmane semble représenter une menace interne puisqu’elle est accusée à juste titre d’aider les pirates barbaresques (maghrébins) à faire des razzias sur les côtes espagnoles.
    Razzias qui ont entre autre comme objectif de s’approvisionner en filles chrétiennes blanches afin de les revendre en tant qu’esclaves sexuelles dans les harems du monde musulman. Le soutien quasiment ouvert des morisques envers les Turcs est considéré comme une trahison alors que ceux-ci sont sur le point d’envahir l’Europe chrétienne.

    Des émeutes ethniques et musulmanes se déclenchent épisodiquement dans le pays de 1501 à 1502. La tension monte entre les deux communautés et les échauffourées isolées se multiplient. L’empereur espagnol Charles Quint déclare alors des lois anti-islam sur la terre d’Espagne, il ordonne la conversion généralisée des musulmans et fait brûler le Coran et les livres musulmans.(…)
    La tension est palpable entre les deux communautés, la Couronne d’Espagne ne parvient plus à maintenir la cohésion entre ses sujets et cela représente une véritable menace pour l’unité du pays. Cette situation pourrit peu à peu et explose la veille de Noël en 1568. Des musulmans, qui préparaient de longue date en secret l’insurrection, élisent Roi un certain Aben Humeya.
    Aussitôt, les insurgés musulmans soulèvent les habitants du massif montagneux des Alpujarras. Les morisques convertis abjurent le christianisme, prône le Djihad et brûlent les monastères, pillent les églises tout en tuant clercs et prêtres.
    La riposte de la Couronne d’Espagne est immédiate et sans concession. C’est dans une symbolique de Croisade que les armées espagnoles partent affronter ce soulèvement musulman. Les armées sont menées par l’Infant d’Espagne Don Juan d’Autriche. Celui-ci va s’illustrer lors de cette guerre nommée la guerre des Alpujarras.
    Les musulmans de Grenade sont déplacés en Castille tandis qu’un décret royal de 1569 déclare « la guerre à feu et à sang » contre l’Islam.

    Les montagnes ne sont plus qu’une trainée de flammes et les Morisques brandissent l’étendard du Jihad.
    Don Juan et les croisés espagnols vont alors procéder méthodiquement à une véritable purge, toute ville islamique est réduite. En 1570 les Espagnols prennent la place forte de Galera, les 4000 habitants musulmans sont passés au fil de l’épée. Aucun prisonnier n’est fait, aucun n’en échappe. Femmes et enfants ne sont pas épargnés.
    Lorsque le dernier musulman est mort, la ville est rasée jusqu’à ses fondations. Ensuite des moines viennent recouvrir les ruines de sel afin de sanctifier les lieux et un prêtre y exerce une messe auprès des croisés qui sont en prière à genoux. Ce procédé sera réitéré dans chaque fief islamique, les survivants cachés dans des cavernes sont traqués et tués à bout portant par les armées espagnoles.
    Les musulmans qui le peuvent finissent par fuir en Afrique du Nord tandis que les survivants seront plus tard transportés également au Maghreb par les Espagnols en 1610 où ils seront mal accueillis. 300 000 musulmans seront ainsi expédiés en Afrique du Nord de 1609 à 1614.

    Cet acte ultime recevra dans la société espagnole une approbation unanime. Il sera même célébré par Lope de Vega comme l’accomplissement ultime de l’unité nationale


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  • Voici l'exposé sur les Croisades d'un élève du collège Jean Marie Lonne à Bordeaux  :

    http://webetab.ac-bordeaux.fr/Etablissement/JMLonne/articles.php?lng=fr&pg=109

    L'élève en question s'appelle Jean-Philippe, donc je suppose qu'il n'est pas (pas encore du moins) converti à l'Islam ? d'autres exposés d'élèves sont à lire sur le site, ceux de Mickaël, Kevin, Lea, Jennifer : ces deux filles, Lea et Jennifer, semblent assez "bosseuses", c'est bien ! en tout cas plusieurs de leur exposés sont retenus sur le site...

    Je suppose que seuls les exposés jugés "excellents" par les enseignants sont ainsi accessibles au public du Web ?

    Alors je me pose des questions, et l'on va voir pourquoi...je ne veux surtout pas accabler les élèves, ils n'ont pas l'âge d'être jugés, pas encore ; mais ce sont les enseignants, ou certains enseignants,  qui portent la pleine responsabilité de l'énorme "boulete" (pour parler comme dans le "Dîner de cons") qui est la suivante :

    «Pour commencer, l’idée de porter la guerre sainte aux musulmans n’était pas une nouveauté.

    Alors pourquoi contre les musulmans ?

    Les exactions commises par les croisés émeuvent les Musulmans et l’Islam se mobilise, stimulé par la menace chrétienne»

    passons sur la façon ultra-simpliste et manichéenne de traiter les chrétiens comme les méchants et les agresseurs  et les musulmans comme les gentils et les agressés.

    Mais revenons sur l'explication proposée par Jean Philippe de l'islamophobie des méchants croisés, et surtout des vilains papes qui les ont envoyés là bas...c'est vrai quoi ! pouquoi cette haine envers les gentils musulmans tout plein de gentillesse et de douceur , ces agneaux de Dieu attaqués par les loups chrétiens ?

    Jean Philippe est un subtil : avant d'asséner son argument choc, il commence par inventorier toute la complexité des choses :

    "Pour commencer, l’idée de porter la guerre sainte aux musulmans n’était pas une nouveauté"

    eh oui !  les méchants chrétiens haïssent les gentils agneaux musulmans depuis toujours, ou en tout cas depuis très longtemps...sans doute depuis qu'il y a des musulmans, oserais je proposer comme hypothèse de travail ?

    ce doit être dans les gènes des chrétiens ? qu'en pensent les savants du collège de Bordeaux ?

    Mais pourquoi donc entreprendre ces damnées croisades, et pourquoi contre les musulmans ?

    C'est bien simple nous dit Jean Philippe....bon sang mais c'est bien sûr ! il suffisait d'y penser !

    Les croisades ont été déclenchées contre les musulmans parce que ceux ci étaient révoltés, à juste raison, par les exactions des Croisés...

    Je n'ose pas faire intervenir ici dans ce débat qui vole si haut un mesquin petit rappel de logique élémentaire : pour expliquer les Croisades, vous ne pouvez pas faire intervenir les "exactions des Croisés", car par définition les raisons expliquant les Croisades doivent être cherchées à l'époque avant les Croisades, une époque où il n'y avait pas encore de Croisés !

    mais j'ai honte de voler autant à ras des pâquerettes ! et nul doute que Jean-Philippe, si par malheur j'avais osé lui dire cela (ce qu'à Allah ne plaise) , m'expliquerait dans son infinie mansuétude islamophile que c'est Einstein qui détient la solution : que quand on va plus vite que la lumière on recule dans le temps, vers le passé ! eh oui : les vilains Croisés racistes et islamophobes avaient inventé la machine à reculer dans le temps, sans nul doute inspirés par Satan !

    ce que les grands savants Pierre Dac et Francis Blanche, convertis à l'Islam, ont  traduit de manière remarquable remarquable, inspirés sans doute par le Coran (alternatif)  :

     "Monsieur a son avenir devant lui, mais il l'a dans le dos chaque fois qu'il se retourne !"

    dans le dos ou un peu plus bas...

    oui, le Colllège Jean Marie Lonne vole vraiment très haut, trop haut pour moi : si j'osais, je dirais que le mur du con a été franchi, et pas qu'un peu, et qu'il serait temps de se méfier du Bang superconique, aux effets bien plus redoutables que le bang supersonique !

     


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  • "Bad lieutenant" est le fameux film d'Abel Ferrara, datant de 1992 il me semble, où Harvey Keitel obteint sans conteste le rôle le plus magnifique et le plus difficile de toute sa carrière : incarner ce flic toxico et défoncé d'un bout à l'autre du film, confronté à une affaire de viol d'une religieuse dans le "Spanish Harlem" de ces années là.

    http://archive.filmdeculte.com/culte/culte.php?id=161

    Le film m'a toujours fasciné, mais j'avoue que j'ai grandement évolué dans mon "positionnement" vis à vis du "style" de l'oeuvre. Alors qu'il y a encore peu le "pathos" (que je caractérisais comme "chrétien") m'énervait, et c'est peu de le dire, je trouve maintenant que c'est un des films les plus beaux et les plus puissants jamais réalisés aux USA, je le place presqu'au niveau de "There will be blood", c'est dire...

    Voici ce que j'écrivais d'ailleurs il y a moins d'un an, en février 2009, après la "crise" de 2008 donc, dans deux articles parus sur l'autre blog :

    http://sedenion.blogg.org/date-2009-02-04-billet-969268.html

    http://www.blogg.org/blog-76490-billet-mathesis_universalis___itineraire_historique_de_la_perte_de_soi_et_de_l_egarement-970160.html

    Je (me) cite (dans le premier article):

    «Car ce "Dieu", qui n'intervient pas dans l'Histoire, qui ne nous connaît pas par notre nom , que nous ne "rencontrons" pas en tant qu'individus, en face à face, mais d'esprit à esprit, donc dans notre dimension trans-individuelle,  ne réclame rien moins qu'un héroïsme de la Raison, celui auquel invitait Husserl en 1936-37 dans la "Crise des sciences européennes".

    Or, que l'homme, dans sa situation-dans-le-monde préphilosophique, soit faible, c'est une vérité mise en avant depuis toujours par le christianisme. Elle fait l'objet d'un film fabuleux, prodigieux, très "chrétien" dans l'esprit : "Bad lieutnant", d'Abel Ferrara, sorti au début des années 90. C'est d'ailleurs la substance de l'aveu que fait le magistral acteur Harvey Keitel au cours de la scène où il a l"illlusion de parler au Christ : "je suis trop faible, si tu ne m'aides pas je ne peux rien".

    C'est, si l'on veut, le dernier mot de la Foi.

    Mais la foi est un luxe que beaucoup ne peuvent plus se payer, et notamment les junkies ...»

    Or il est juste de dire qu'il s'agit d'un film très "chrétien", mais disant cela on n'a rien dit ; et il est tout à fait significatif que je parte, dans cet extrait datant de février 2009, de la Krisis d'Edmund Husserl. Car on parle toujours d'Husserl comme d'un juif allemand persécuté sur le tard, mais on ignore , ou l'on passe sous silence, qu'il était (par conversion) et se définissait chrétien.

     Ce qui ne doit nous étonner en rien si nous approuvons l'évolution récente de ce blog, qui unifie judaïsme et christianisme en un même processus de la Raison.

    Mais l' on est tout de même en droit de s'étonner, au vu du "slence assourdissant" régnant dans l'oeuvre husserlienne (publiée à ce jour) sur les questions religieuses (mais il est vrai que ce qui est publié ne représente encore qu'une petite partie de l'ensemble, proprement immense).

    Que l'on lise alors cet article "Husserl comme théologien" :

    http://www.history-cluj.ro/SU/anuare/2008/Continut/art15Sivak.PDF

    dont je ne résiste pas à citer le début, portant sur la confidence de Husserl à son élève Edith Stein (connue elle comme philosophe juive devenue chrétienne, tout comme Simone Weil d'ailleurs) en 1935:

    «La vie d'un homme n'est rien d'autre qu'un chemin vers Dieu . J'ai essayé de parvenir au but sans l'idée de la théologie, ses preuves, ses méthodes, en un mot j'ai voulu atteindre Dieu sans Dieu. Il me fallait éliminer Dieu de ma pensée scientifique pour ouvrir la voie à ceux qui ne connaissaient pas la route sûre de la foi passant par l'Eglise. Je suis conscient du danger que comporte un tel procédé et du risque que j'aurais moi même couru si je ne m'étais pas senti profondément lié à Dieu et chrétien du fond du coeur»

    Wittgenstein est un autre exemple de philosophe d'origine juive  dont la famille s'était convertie au christianisme quelques générations avant; mais il se situe sur un "bord" (exemple : "je suis le plus grand penseur juif de tous les temps") qui explique pas mal de choses, notamment son manque de réserve vis à vis de la question de Dieu, à mon sens tout au moins, car ses confidences des "Carnets secrets" sont celles d'une foi banale, d'un recours à Dieu et à la prière pour éloigner la mesquinerie de l'entourage, il est vrai qu'elles datent du temps de guerre, sur le front en 1914-15. Et puis qui suis je pour juger Wittgenstein ?

    Tout comme l'on ne dit pas grand chose quand on dit "chrétien", on en dit encore moins quand on dit "athée" : disons qu'il faut distinguer (pour le moins) entre deux grandes catégories d'athées, ceux qui disent "Dieu est avec nous" et qui ont tout le temps le mot "Dieu" à la bouche, ce qui touche à la profanation, et ceux qui disent "Dieu est loin, absolument transcendant, au delà de toute raison", ce qui poussé au stade ultime donne "Dieu n'est pas, ou Dieu n'existe pas".

    Le silence de husserl, qui obéit aux exigences de la réduction phénoménologique, n'est évidemment à classer dans aucune de ces deux catégories, et pour cause : Husserl est un penseur profondément chrétien, tellement même qu'il garde un silence absolu, et voulu, sur le christianisme et la question de Dieu.

    Ceci pour la raison qu'il indique lui même : par pure et héroïque "charité" (chrétienne pour le coup) envers les gens comme nous , ceux qui sont incapables d'emprunter la route de la foi.

    On voit donc que ce que j'écrivais en février 2009 est un peu biaisé : j'y opposais un héroïsme rationaliste et "la foi du charbonnier " (en gros), mais ceci est évidemment inopérant au vu de la citation de Husserl : il est des exemples de foi héroïque ,que l'on pense aux martyrs des débuts de l'Eglise, que l'on pense à Edith Stein ou Simone Weil, et que l'on pense à Husserl lui même, qui ne nierait certainement pas avoir la "foi" en Dieu, en le Dieu chrétien !

    Quant aux persécutions d'ordre antisémite contre Husserl, qui sont plutôt des vexations immondes et mesquines, elle ne font que traduire le climat de folie qui régnait alors, même dans le milieu universitaire hélas; et je réserve mon jugement à propos du rôle de Heidegger en cette affaire, ayant entendu tout et son contraire à ce propos !

    Le "lieutenant de police" joué par Harvey Keitel , même s'il se définit comme un "fucking catholic" éloigné de l'Eglise, n'a rien d' un homme de foi, ni d'un héros. Il incarne tout simplement à l'extrême l'aboutissement pervers ayant commencé par la destruction pascalienne de la métaphysique occidentale dont j'ai récemment parlé ici.

    On notera d'ailleurs qu'il n'a pas de nom ni de prénom dans le film, ce qui est rare, et marque avec évidence une intention : il n'a plus de nom humain (social) mais pas encore le "nom nouveau" dont il est parlé dans l'Apocalypse. La seule fois où il est nommé, c'est par dérision, du nom du joueur de football noir "Strawberry" qui l'obsède d'un bout à l'autre du film.

    Abel Ferrara a écrit le scénario avec Zoé Lund, qui dans le film joue le rôle de l'accompagnatrice  du lieutenant dans la drogue. Son  monologue , lors de la deuxième et dernière scène où on les voit tous les deux, est magnifiques, il décrit les toxicos, les junkies :

    «Les vampires sont plus heureux que nous : ils se nourrissent des autres, eux.  Il  faut se dévorer soi même, manger ses propres jambes pour pouvoir marcher, décharger (éjaculer) pour recharger, se sucer soi même à fond, se manger soi même complètement ("eat away our souls") jusqu'à ce qu'il ne reste plus de nous que la faim. C'est dingue, il faut donner, donner, donner...si l'on ne donne pas rien n'a de sens.. Jésus l'a dit maintes et maintes fois. Personne ne comprendra jamais pourquoi tu as fait ça. Demain tout le monde t'aura oublié»

    la dernière partie du monologue concerne sans doute Jésus-Christ (le Jésus historique pour certains, ou légendaire pour d'autres, celui qui fut crucifié, pas le Logos des philosophes) , comme cela est suggéré par les images, mais en fait tout autant le "lieutenant".

    Le parcours de Keitel dans le film n'est en effet rien d'autre qu'un calvaire et une montée au Golgotha, mais absolument inversée, parodique, diabolique : celui de l'homme moderne déchu, le résultat de l'évolution de Pascal à Sade. La montée est devenue descente (au propre et au figuré, car il n'arrête pas de boire ou de se droguer).

    J'ai aussi profondément évolué, c'est le cas de le dire, vis à vis du personnage de la religieuse : c'était le personnage qui m'énervait le plus, et m'empêcha longtemps de prendre le film vraiment au sérieux, tout en reconnaissant sa force fascinante.

    Maintenant c'est le personnage que je trouve le plus beau et le plus sublime, dans le film et peut être dans toute l'oeuvre cinématographique mondiale..

    il me faut, sur le tard, me rendre à l'évidence : aimer ceux qui nous haïssent, pardonner à ceux qui nous ont offensé (et, dans le cas de la religieuse du film, cela signifie pardonner complètement aux deux salopards qui l'ont violée, sodomisée, déflorée avec un crucifix, brûlée avec des cigarettes) c'est non seulement admirable, sublime, héroïque,... mais c'est : beau !

    Beau d'une beauté surhumaine, qui est celle du message évangélique !

    L'actrice Frankie Thorn joue tellement bien qu'elle arrive à convaincre, lors de la dernière scène, au moment où elle est en prière aux côtés du lieutenant agenouillé lui aussi, mais de par la fatigue extrême dûe à la défonce : elle a vraiment et sincèrement pardonné à ces deux (je cite ses paroles dans une autre scène) "miséreux qui comme tous les miséreux veulent prendre de force"... et elle ne fait de reproches qu'à elle même, pour n'avoir pas su "changer la semence amère en sperme fertile, comme Jésus l'eau en vin".

    Je n'ai jamais vu femme plus belle, même en rêve ! beauté surhumaine parce que personne ne peut pousser l'héroïsme aussi haut, sauf un saint, sauf une sainte : et il y a des saints et des saintes (mais à l'écart des médias, si vous voyez à quoi et à qui je pense).

    Ce pardon sublime dépasse complètement l'entendement du "lieutenant", qui se situe évidemment ici au stade du talion judaïque : il voudrait, lui, tuer les deux petites ordures, même si cela va aussi contre le droit... et quelques secondes après il se réfère au même droit qu'il voulait bafouer en demandant carrément à la religieuse si elle a vraiment le droit, vis à vis des autres femmes,  de laisser courir les deux hommes, qui recommenceront certainement...

    Tout cela bien sûr est commun, banal : dépassement du talion et de la loi dans l'amour, pardon des offenses, sainteté.... mais le vrai est parfois simple, et donc difficile. or osons le dire : qui d'entre nous pardonnerait ainsi ? et le "lieutenant" ne trouve à dire que ceci : "atterrissez ma soeur!".

    Pour ma part je ne pouvais pas supporter qu'elle lui dise en le quittant : "adressez vous à Jésus...vous croyez en Dieu n'est ce pas ?"

    j'y voyais (à tort) la marque d'une outrecuidance des croyants, icapables croyais je d'envisager même l'idée d'un être n'ayant pas du tout la foi...

    mais je me trompais : elle lui dit "vous croyez en Dieu n'est ce pas ?" sur un ton propre à faire comprendre que cela ne fait aucun doute parce qu'effectivement cela ne fait aucun doute, et cela n'a aucun rapport avec la façon qu'il a de toujours se dire un "fucking catholic" : un être qui se détruit lui même aussi obtinément que le "lieutenant" marque ainsi qu'il croit, ou plutôt qu'il se voue à Dieu dans son anéantissement même. seulement ceci n'a que peu à voir avec le sens du christianisme, selon lequel Jésus est venu s'incarner justement pour que de telles voies vers Dieu dans la destruction de soi même soient définitvement fermées...

    L'autre scène, très difficile à jouer évidemment pour Keitel (compte tenu du fait qu'il avait fait jouer ses propres  enfants dans les rôles des enfants du policier du film) est évidemment celle où il arrête les deux gamines au volant de la voiture de papa, et sans permis : ivre comme toujours, il les force à imiter une fellation en se masturbant devant elles !

    C'est là que l'on reconnait les grands acteurs : ceux qui prennent le risque d'habiter leur personnage !

    Quel est le sens d'une pareille scène, mis à part le scandale qu'elle a sans doute déclenché ? c'est de montrer en quelque sorte "sur le vif" qu'il ne suffit pas de renverser la loi, toute loi, pour accéder à l'amour...car dans cette scène le policier adopte volontairement un ton d'enfant complice des deux gamines vis à vis du "père absent" mais que l'on devine redoutable. Mais c'est un enfant persécuteur et tourmenteur. Monsieur "Notre père qui êtes aux cieux" est demandé de toute urgence, ou à défaut un père fouettard , menaçant et punisseur, seule représentation de la loi que ces adulescents puissent envisager, impuissants qu'ils sont à l'intérioriser suffisamment pour pouvoir un jour, effectivement, la barrer et changer de niveau , accédant à l'amour spirituel (qui ne saurait se dégrader en auto-érotisme).

    On n'aura sans doute jamais aussi bien réussi au cinéma , par l'atmosphère même d'un film, à traduire l'extrême désacralisation ou plutôt désanctification nihiliste contemporaine...

     

     


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